Corpus des sources
Vous trouverez dans cette rubrique les présentations des six textes édités du projet ARCHITRAVE. Des informations sur le choix des sources publiées et sur le projet scientifique sont présentées respectivement dans les rubriques Présentation du projet (menu « Projet ») et Introduction (menu « Édition »).
Pour télécharger ou imprimer une édition dans son intégralité, procéder comme suit :
- Cliquer à droite sur « Vue synoptique » pour accéder à l’édition.
- Dans la vue synoptique, cliquer sur le bouton « Informations éditoriales » dans la barre de menu horizontale.
- L’identifiant persistant ou PID (handle) de chaque édition est donné à la fin de la section « Métadonnées ». En cliquant sur le PID on est dirigé vers l’édition qui est stockée dans le TextGrid Repository.
- Le menu « Download » à gauche permet de télécharger l’édition au format HTML qu’il est possible d'imprimer en PDF. Parmi les outils proposés dans le menu du TextGrid Repository, les « Voyant Tools » permettent d’effectuer des analyses textométriques sur l'ensemble du corpus.
Christoph Pitzler
Rédigé au milieu des années 1680, à la faveur d’un séjour parisien de plusieurs années, le carnet de Christoph Pitzler compte parmi les plus anciens et substantiels témoignages sur l’architecture française du règne de Louis XIV nés sous la plume d’un architecte allemand. Pitzler ne brille ni par l’acuité de son jugement, ni par ses talents de dessinateur. Cependant, les notes de son périple en France – au total près de 140 pages caractérisées par un enchevêtrement d’esquisses et de textes explicatifs – représentent une source de premier ordre pour de nombreux édifices et décors intérieurs, qu’il est le seul voyageur à évoquer. Pitzler est ainsi le premier à remarquer et à dessiner certains des pavements de marbre du Grand Appartement du roi au château de Versailles. Ses croquis de la façade et de la distribution intérieure de l’hôtel particulier de la rue de l’Université à Paris – où logeait alors le prince héritier Jean-Georges de Saxe (futur électeur Jean-Georges IV) – constituent également un document d’exception. Quant à sa présentation illustrée du fonctionnement de la machine de Marly, dispositif de pompage de l’eau de la Seine unanimement admiré, elle se distingue, par sa précision, des témoignages des autres voyageurs allemands de son temps. Ses choix ont certes pu être dictés par les aléas du voyage, mais son carnet nous montre bien ce qui retenait alors l’attention d’un architecte provincial allemand visitant Paris et ses environs. Cependant, l’influence qu’ont pu exercer les modèles français sur ses réalisations architecturales, il est vrai peu nombreuses, n’a pas encore été suffisamment étudiée.
L’homme
Nous ignorons les dates précises de naissance et de mort de Christoph Pitzler. Il vit probablement le jour en novembre 1657, à Freyburg, et décéda fin avril 1707 à Halle. C’est là qu’il fut inhumé, le 28 avril, au cimetière de la Laurentiuskirche, dans le faubourg de Neumarkt. La plaque funéraire conservée lui attribue la fonction de « maître attitré des bâtiments, ponts et chaussées de Sa Majesté royale en Prusse / pour les principautés de Magdebourg et de Halberstadt / et la ville de Halle et, jadis, de Son Altesse princière de Saxe / pour les principautés de Weißenfels et Querfurth » (traduction d’après la transcription d’Hendrik Ziegler, avec la collaboration de Lara Niesen ; la plaque funéraire est reproduite dans : Säckl 1999, p. 195, fig. 2 ; Titze 2007, p. 123, fig. 177).
La source la plus ancienne relative à la carrière du futur maître des bâtiments de la Saxe ducale et de la Prusse est un arrêté de nomination du 25 novembre 1680, où, par la volonté du duc Jean-Adolphe Ier de Saxe-Weißenfels (règne : 1680-1697), Pitzler se vit attribuer la fonction d’« adjoint » de la « Chambre d’argenterie » de la cour de Weißenfels. S’il n’occupait ainsi que la charge mineure de surveillant de l’argenterie princière, du moins intégrait-il les rangs de la cour (voir Niemann 1927, p. 45, note 13 ; Heckmann 1996, p. 77 ; Säckl 1999). Par ailleurs, comme on peut le déduire d’un passage autobiographique de sa relation de voyage, Pitzler s’intéressait depuis sa jeunesse à « l’architecture et [aux] fortifications » (citation tirée de la première page du journal de voyage, qui n’est pas reproduite dans l’édition présentée ici ; voir aussi Gurtlitt 1922, p. 152 ; Niemann 1927, p. 43).
Le duché de Saxe-Weißenfels fut fondé en 1657 comme l’une des trois principautés dites de secondogéniture de la branche albertine de la maison électorale de Saxe. Ces principautés furent alors créées tout exprès pour les trois cadets du prince électeur Jean-Georges Ier de Saxe, qui n’avaient pas le droit d’hériter dans les contrées placées sous l’autorité de la maison électorale. Avec l’introduction d’une lignée secondaire, en la personne d’Auguste de Saxe-Weißenfels (règne : 1657-1680), la construction d’un nouveau et vaste château fut entreprise à Weißenfels, désormais ville de résidence située entre Naumbourg et Leipzig. À cette fin, on commença par dégager les ruines de la forteresse surplombant la cité, gravement endommagée en 1644-1645 pendant la phase tardive de la guerre de Trente Ans. En 1660 débuta la construction d’un château à trois ailes conçu par l’architecte de Weimar Johann Moritz Richter l’Aîné (1620-1667) et bientôt baptisé Neu-Augustusburg. Le fils de Richter, Johann Moritz Richter le Jeune (1647-1705), poursuivit le chantier de construction et c’est sans doute sous son égide que Pitzler fut pour la première fois associé à des projets architecturaux. À partir de 1684, Richter le Jeune passa au service du margrave Christian-Ernest de Brandebourg-Bayreuth, sans pour autant abandonner totalement ses activités en Saxe-Weißenfels. Dès lors, le duc Jean-Adolphe Ier, fils d’Auguste, monté sur le trône en 1680, encouragea sans doute activement la poursuite de la formation de Pitzler (voir Säckl 1999, p. 187). Ce dernier fut donc envoyé trois ans en voyage éducatif en Europe, avec, selon toute vraisemblance, le soutien financier du duc. Pitzler partit le 15 mai 1685 pour un périple qui, via Gotha, Francfort, Utrecht, Amsterdam, Anvers et Bruxelles, devait le conduire en France et en particulier à Paris. Il y séjourna du 14 juillet 1685 au 15 mars 1687, avant de poursuivre son voyage vers l’Italie en passant par Lyon. Il fit halte à Rome, du 19 mai au 12 octobre 1687, puis passa par Venise, Innsbruck, Munich, Vienne, Prague, Dresde et Leipzig, pour rejoindre Weißenfels le 3 juillet 1688 (sur le périple à travers la France, voir dans le menu « Visualisations » la carte interactive Europe (itinéraires) ; des cartes statiques de l’itinéraire dans : Lorenz/Salge 1998, p. 10 ; Paulus 2011, fig. p. 65 et Paulus 2014, fig. p. 101). De son carnet de voyage et d’esquisses, dont la reconstitution est encore incomplète à ce jour, seule la section concernant la France est ici éditée pour la première fois (voir ci-après la section « La source »).
Peu après son retour, Christoph Pitzler fut promu au rang de camérier. D’après Säckl, le maître des bâtiments Johann Moritz Richter le Jeune ne travaillant plus sur place, Pitzler le remplaça progressivement dans ses fonctions, mais, comme en attestent différentes sources, il ne fut désigné « maître des bâtiments, ponts et chaussées » qu’à partir de 1696-1697 (voir Säckl 1999, p. 188 et 201, note 47). Sous le règne du duc Jean-Georges (1697-1712), Pitzler conserva visiblement cette fonction jusqu’à son décès en 1707. S’y ajoutèrent cependant d’autres tâches, en partie nouvelles : début juin 1702, Pitzler fut aussi nommé maître des bâtiments du duché de Saxe-Weißenfels-Barby. À partir de 1704, ses activités de conseiller dans le duché de Magdebourg s’intensifièrent au point qu’il ne tarda pas à décider de s’installer avec son épouse à Halle, ville du duché idéalement située pour lui à mi-chemin entre Weißenfels et Magdebourg. Le duché de Magdebourg avait à l’origine appartenu au duché de Saxe-Weißenfels, mais, en 1680, en raison de dispositions remontant à la paix de Westphalie, il fut rattaché à la principauté électorale du Brandebourg (en l’occurrence à la maison royale de Prusse). Le 21 mars 1707, Christoph Pitzler fut finalement nommé, au sein de l’administration prussienne, architecte du duché de Magdebourg, mais décéda avant de pouvoir prendre ses fonctions (voir Niemann 1927, p. 48 ; Säckl 1999, p. 189).
La période d’activité de Pitzler comme maître d’œuvre et architecte s’étend donc de 1688 à 1707. Il apparaît dès lors évident que son carnet de voyage et d’esquisses, commencé au début de son périple en 1685 et qu’il poursuivit jusqu’en août 1705, constitua pour son travail un capital inestimable. Pour bien évaluer l’importance de cette source, il est important de comprendre que Pitzler était un autodidacte formé à l’architecture sur le tard, alors qu’il avait déjà vingt-cinq ans. Il réussit pourtant à mener une carrière remarquable, dont témoignèrent déjà ses contemporains (voir Marperger 1711, p. 471 ; Heckmann 1996, p. 77, p. 81, note 8). Les aptitudes limitées de Pitzler en matière de dessin, qui transparaissent dans les esquisses de son carnet, peuvent donc s’expliquer par les lacunes de sa formation professionnelle. Pour juger à sa juste valeur l’œuvre architecturale de Christoph Pitzler, il est en outre essentiel de se rappeler que si sa faible superficie faisait de la Saxe-Weißenfels une « petite » principauté, ses liens dynastiques avec l’électorat de Saxe lui assuraient une certaine puissance économique : le château de Neu-Augustusburg fut en son temps l’un des palais les plus spectaculaires d’Allemagne centrale.
Peu de temps après son retour à Weißenfels en 1688, Pitzler se vit confier ses premières commandes d’architecte : il fut notamment chargé de fermer, côté est, la cour d’honneur délimitée par les trois ailes du château de Neu-Augustusburg, au moyen d’un mur peu élevé percé d’un portail. Orné d’un décor simple en tables et surmonté d’une coursière à balustrade, il présente en son centre le portail à bossage flanqué de part et d’autre de colonnes toscanes jumelées (voir Heise/Säckl 2007, fig. p. 64-65). La sobriété de ce mur extérieur avec galerie trahit l’influence de modèles parisiens, comme le palais du Luxembourg. Au demeurant, l’état actuel des sources ne permet pas de savoir si Pitzler en a été le seul concepteur vers 1690, ou s’il a pu s’appuyer sur des plans de Johann Moritz Richter le Jeune, se contentant de les réaliser ou de les reprendre avec des modifications (voir Titze 1994, p. 49-51). Au cours des années suivantes, l’activité architecturale de Pitzler inclut bon nombre de travaux similaires destinés à compléter, transformer ou restaurer des bâtiments :
- En 1694 : construction, sur commande du duc, de la sobre aile sud à deux étages du château de Dryburg à Langensalza, toujours conservée aujourd’hui (voir Säckl 1999, p. 188).
- En 1697 : probable auteur du dessin du portail aux atlantes de la « Maison des Géants » à Halle, encore visible aujourd’hui au 16 de la Große Brauhausstraße, les sculptures étant l’œuvre d’Andreas Griebenstein (voir Titze 2007, p. 106-107).
- En août 1698 : en charge du réaménagement la chambre de la duchesse au château de Neu-Augustusburg à Weißenfels, en grande partie achevé depuis 1694 (voir Niemann 1927, p. 46 ; Lorenz/Salge 1998, p. 13, note 46).
- À partir de 1702 : poursuite de la construction du château de Barby-sur-Elbe, commencée par Johann Arnold Nering en 1687 (voir Lorenz/Salge 1998, p. 14).
- En 1703 : travaux de transformation du pavillon de chasse de Klein-Friedenthal (voir Titze 2007, p. 114, fig. 162). En 1773, le petit château, érigé sous la forme d’un pavillon à plusieurs corps de bâtiment étagés, fut à nouveau démoli.
- En 1704 : transformation du château de Neuenburg à Freyburg et dessin du portail, dont le décor sculpté est l’œuvre de son collaborateur, le sculpteur Andreas Griebenstein (voir Titze 2007, p. 200 et fig. 157, p. 113).
- En 1705-1706 : d’après les sources, maître d’œuvre du château de Moritzburg à Halle (voir Säckl 1999, p. 189).
À partir de 1690, Pitzler entreprit en outre de nombreux voyages d’inspection mais aussi d’étude en Allemagne, comme expert et architecte : il se rendit ainsi à Mersebourg, Leipzig et, en août 1695, pour la première fois à Berlin ; en 1701 et 1704, d’autres voyages similaires le conduisirent à nouveau dans la capitale de la Prusse et du Brandebourg. Pour le reste, Pitzler – qui continuait de rédiger avec application son carnet de voyage et d’esquisses – voyagea également à Zeitz, Coswig, Bayreuth, Brunswick et Hanovre. Le dernier voyage important dont son carnet porte témoignage le conduisit en 1705 à Francfort-sur-le Main, Marbourg et Cassel (voir Lorenz/Salge 1998, p. 13-14). En 1706, il expertisa et critiqua la conduite d’eau saline de Groß-Salze à Schönebeck (voir Niemann 1927, p. 48, note 42).
Pitzler fut également responsable de la conception de plusieurs projets architecturaux d’envergure, de dimensions parfois impressionnantes, mais qui, pour la plupart, n’existent plus aujourd’hui :
- En 1696 : construction à Weißenfels des locaux administratifs de la ferme piscicole ducale ; au 9 Promenade, on ne peut plus voir aujourd’hui qu’une reconstruction de la façade, le bâtiment étant utilisé comme maison de retraite (voir Titze 2007, p. 203).
- Le manège de Weißenfels peut être considéré comme l’édifice le plus spectaculaire de Pitzler, construit à l’est, en face du château de Neu-Augustusburg. Il fut édifié de 1697 à 1706, sa longueur totale de 96 mètres en faisant l’un des plus grands manèges de tout l’Empire : il était plus grand que celui de l’École espagnole de Vienne, long de seulement 64 mètres (voir Heise/Säckl 2007, fig. II.12 p. 73). Le bâtiment fut inauguré en grande pompe le 31 juillet 1706 et baptisé « Palaestra Equestris » (voir Niemann 1927, p. 46). Incendié en 1945 avant d’être détruit, ce manège n’existe plus aujourd’hui.
- En 1700 : dessin du Pavillon rouge (Rotes Lusthaus) du parc de Weißenfels, dont le nom faisait allusion à sa toiture de couleur rouge (voir Titze 2007, p. 112). Tombant en ruine car délibérément laissé à l’abandon, cet édifice fut rasé en 1985 (voir Säckl 1999, p. 197, fig. 4).
- Toujours en 1700, construction à l’intérieur de l’enceinte de Weißenfels d’un autre pavillon de plaisance original dont la conception peut être attribuée à Pitzler : une salle de jeu de paume (ancêtre du tennis) d’une longueur de 33 mètres. Aujourd’hui, seul l’avant-corps orné des armes et des initiales JG du duc régnant Jean-Georges a été conservé ; on ignore à quel moment la salle proprement dite a disparu (voir Heise/Säckl 2007, fig. II.13, p. 73-74). Élément révélateur, au cours de son voyage en France, Pitzler avait étudié avec précision plusieurs de ces jeux de paume, dont il avait pris les mesures (voir la présente édition, p. 80-83). Reste à savoir si la construction d’un tel équipement avait déjà été envisagée à Weißenfels dans les années 1680.
Ces exemples montrent que les dessins conservés du séjour en France de Pitzler méritent d’être étudiés avec précision, en s’interrogeant à chaque fois sur les raisons qui ont conduit l’architecte à s’intéresser à certains détails. La mise en relation de ces derniers avec les constructions qu’il dirigea reste à faire. Aucun portrait de Pitzler n’a été retrouvé ; seule a été conservée l’inscription funéraire de la Laurentiuskirche de Halle, évoquée plus haut.
La source
Le carnet d’esquisses et de notes de voyage de Pitzler a vraisemblablement brûlé à la fin de la Seconde Guerre mondiale et doit aujourd’hui être considéré comme perdu. Il était conservé à la bibliothèque de la Technische Hochschule (École technique supérieure) de Berlin-Charlottenbourg (numéro d’inventaire 9436). À la fin du XVIIe siècle, le carnet appartenait à l’architecte prussien Friedrich Gilly (voir Bollé/Ocón Fernández 2019, p. 365). Le titre Mein, Christoph Pitzlers Reysebeschreibung durch Teutschland, Holland, Spanische Niederlande, Franck-Reich und Italien, Was in demselben meiner Profession zuständig merckwurdiges gesehen, bloß zur nachricht endworffen und beschrieben (Mon récit de voyage à travers l’Allemagne, la Hollande, les Pays-Bas espagnols, le royaume de France et l’Italie, ce que j’y ai vu de remarquable en rapport avec ma profession, pour en porter témoignage et le décrire, par Christoph Pitzler) a été emprunté à des recherches antérieures qui avaient pu s’appuyer sur la page de titre du carnet avant sa destruction (voir notamment Gurlitt 1889, p. 478 et Gurlitt 1922, p. 151). Le manuscrit, originellement relié de cuir en un seul volume, de format in quarto 16,5 x 20,5 cm, comprenait 1 052 pages. Une partie de ces pages a toutefois été conservée sous la forme de reproductions en négatif sur plaques de verre datant de l’avant-guerre, aujourd’hui à Potsdam dans la collection graphique de la Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg (Fondation des châteaux et jardins prussiens de Berlin et du Brandebourg). Outre la partie concernant la France, qui a été reproduite ici, on y trouve surtout les pages relatives aux édifices de Berlin et de la région environnante du Brandebourg (voir l’édition de Lorenz/Salge 1998). La partie consacrée à l’Italie a quant à elle été perdue, tout comme la partie finale qui, sur plus de 400 pages, regroupait des extraits copiés par Pitzler dans différents traités, notamment celui de Leonhard Christoph Sturm (pour un inventaire complet du contenu initial du carnet d’esquisses et de voyage, voir Lorenz/Salge 1998, annexe IV, p. 223-234). Le texte a été rédigé par Pitzler en écriture cursive allemande, les expressions étrangères étant notées en lettres latines. Il s’agit en partie de passages de guides imprimés copiés ou traduits par ses soins. Le manuscrit est assorti de nombreux dessins, souvent très détaillés, exécutés à l’encre, parfois sur un tracé préparatoire au crayon et entourés de textes explicatifs. Hormis les nombreuses copies de gravures, il est probable que ces dessins aient en majorité été réalisés sur le motif et immédiatement annotés.
Bien que ce document de la main de Pitzler soit connu depuis la fin du XIXe siècle, la partie concernant la France n’a jamais été étudiée dans son intégralité (voir ci-dessous l’état de la recherche) : elle est présentée ici pour la première fois sous une forme complète. Parmi les pages du carnet consacrées au séjour en France, 139 ont été conservées sous forme de négatifs sur plaque de verre (3 d’entre elles étaient des doubles pages pliées en deux, chaque moitié étant photographiée séparément, ce qui porte à 142 le nombre total de pages de la présente édition). Les reproductions numériques qui sont présentées ici ont été tirées de ces négatifs. Sur chaque plaque de verre figurent plusieurs pages du manuscrit ; elles y sont reproduites soit intégralement, soit légèrement tronquées sur un ou plusieurs côtés, en noir et blanc ou en couleur, ce qui explique les disparités de la présentation. Elles sont pour la plupart numérotées en haut à droite, mais probablement pas par Pitzler lui-même. Plusieurs feuilles sont perdues ce qui fait que la pagination actuelle est lacunaire. Il manque les reproductions des pages suivantes : 84, 117, 145, 146, 150, 151, 153, 172, 173, 179, 188-196, 202-206 et 211.
État de la recherche
Cornelius Gurlitt fut le premier, en 1889, à signaler l’existence du journal de voyage de Christoph Pitzler, qui se trouvait alors à la Technische Hochschule de Berlin-Charlottenbourg (voir Gurlitt 1889). En 1922, il publia également une étude plus détaillée de ce document (voir Gurlitt 1922). Parmi les études anciennes, celle de Neumann reste une référence (voir Neumann 1927).
Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs chercheuses et chercheurs de part et d’autre du Rhin se sont référés à cette source essentielle, notamment quant à l’approche de l’architecture française par un architecte allemand. Mais ces recherches sont restées ponctuelles et limitées à un cadre d’études précis (voir Ganay 1962 ; Couzy 1977 ; Weber 1985). Une édition critique de la partie concernant la France n’a jusqu’à présent pas été entreprise. D’un point de vue méthodologique, il faut souligner que la section française du carnet – si précieuse soit-elle comme partie presque entièrement conservée – doit toujours être analysée en gardant à l’esprit les autres sections du manuscrit, même si celles-ci sont perdues, à savoir les importantes parties consacrées à l’Italie et les nombreux extraits de traités copiés par Pitzler (voir ci-dessus la section « La source »).
Un progrès décisif dans la recherche sur Pitzler a été réalisé avec l’édition commentée d’une cinquantaine de pages concernant les édifices de Berlin et du Brandebourg, proposée en 1998 par Hellmut Lorenz et Christiane Salge, à partir des photographies et documents iconographiques encore disponibles (voir Lorenz/Salge 1998). Cet ouvrage fondamental offre une synthèse de l’état de la recherche à la fin des années 1990 et dresse un sommaire détaillé du contenu du journal de voyage tel qu’il a pu être reconstitué (ibid., p. 223-234). La présente édition numérique apporte au demeurant quelques corrections à ce travail d’identification, pour la partie française. On trouve aussi dans le volume de Lorenz et Salge une carte très utile retraçant le parcours de Pitzler en Europe (ibid., p. 10 ; voir aussi Paulus 2011, fig. p. 65 et Paulus 2014, fig. p. 101). Notre édition répertorie quant à elle sur une carte interactive l’ensemble des lieux visités par l’architecte en France.
Ces dernières années sont parus plusieurs articles de fond et notices de dictionnaire sur Christoph Pitzler, qui livrent non seulement de nouveaux détails biographiques mais permettent surtout de mieux cerner son activité d’architecte dans le duché de Saxe-Weißenfels et au-delà (voir Titze 1994 ; Heckmann 1996 ; Säckl 1999). Säckl analyse aussi le cadre politique et culturel dans lequel Pitzler a officié comme architecte de cour et comme courtisan dans la principauté de Saxe-Weißenfels (voir Heise/Säckl 2007, p. 33-60).
L’analyse par Pitzler du château et des jardins de Versailles a déjà beaucoup été étudiée (voir Ziegler 2010 et 2013 ; Pitzler 2014 et Dölle 2015). Paulus a replacé son voyage dans le contexte plus large des périples d’architectes entre le début de l’époque moderne et la période contemporaine (voir Paulus 2011, p. 63-66). On peut espérer que la présente édition et la thèse que Florian Dölle, collaborateur du projet ARCHITRAVE, prépare sur le thème « Paris et Versailles dans les carnets d’esquisses d’architectes voyageurs autour de 1700 » vont marquer une nouvelle étape dans l’étude du carnet de Christoph Pitzler.
L’essentiel en un clic
Dessins de maisons bourgeoises parisiennes exécutés sur le motif mais s’inspirant sans doute aussi de recueils de modèles de maîtres d’œuvre locaux, ce qui peut expliquer l’absence de restitution des cheminées et de certains murs extérieurs (p. 49 et 50).
Mention du séjour du prince héritier Jean-Georges de Saxe à Paris, du 29 septembre 1685 au 29 mai 1686, et dessin représentant son logement rue de l’Université (p. 52).
Dans le manuscrit se trouvent de multiples représentations de pavements de marbre de différentes églises, hôtels particuliers et palais. Il semble que Pitzler nous ait laissé l’unique dessin connu à ce jour de la disposition du pavement de marbre du vestibule de l’hôtel de La Vrillière à Paris (p. 61 et 104).
Pour ce qui est des palais royaux, Pitzler s’intéresse particulièrement au palais du Luxembourg et à son jardin (p. 62, 63, 64, 65, 66, 67) ainsi qu’au palais des Tuileries (p. 68, 87, 88, 89), dont il mentionne les deux salles de théâtre : la salle de Ballet située côté sud dans le pavillon de Flore (p. 88) et celle plus vaste de l’Opéra, dite salle des Machines, située dans l’aile nord (p. 89).
Le dessin de la voûte de la galerie est du palais du Luxembourg, où devait être accroché le cycle d’Henri IV, semble être une des premières représentations de cet intérieur connues à ce jour (p. 66).
Parmi les églises parisiennes, Pitzler voue une attention particulière à la fondation royale de l’abbaye du Val-de-Grâce. Il dessine en détail l’église, y compris ses pavements de marbre, en se basant principalement sur ses observations in situ, (p. 95, 96, 97, 98).
Pitzler s’étend longuement sur le château et les jardins de Versailles (voir notamment p. 119-144). Il ne cesse de faire des observations personnelles, qui ne sont pas tirées des guides contemporains, auxquels il a du reste souvent recours. Il mentionne ainsi l’exposition de maquettes de villes fortifiées dans le salon de la Guerre avant leur intégration dans la collection des plans-reliefs (p. 130) (sur ce point, voir aussi Corfey, p. 21), dessine le lit du roi (p. 129) ainsi que les pavements de Versailles (p. 131).
Dessins et description du mécanisme de levage de la machine de Marly (p. 141, 142, 143) ; cette installation de pompage de l’eau de la Seine suscitera également l’admiration des frères Corfey (voir p. 80-81 et 86), celle de Knesebeck (fol. 59r et 59v), mais aussi de Sturm (p. 109) et de Neumann (lettre de Paris du 15 février 1723).
Bibliographie
Bollé/Ocón Fernández 2019 : Michael Bollé et María Ocón Fernández, Die Büchersammlung Friedrich Gillys (1772-1800). Provenienz und Schicksal einer Architektenbibliothek im theoretischen Kontext des 18. Jahrhunderts, Berlin, Gebr. Mann Verlag, 2019.
Couzy 1977 : Hélène Couzy, « Le château de Noisy-le-Roi », Revue de l’art, n° 38, 1977, p. 23-34.
Dölle 2015 : Florian Dölle, « Mit eigenen und mit fremden Augen : Versailles in Christoph Pitzlers Reiseskizzenbuch von 1686 », dans Der Künstler in der Fremde. Migration – Reise – Exil, éd. par Uwe Fleckner, Maike Steinkamp et Hendrik Ziegler, Berlin, De Gruyter, 2015, coll. « Mnemosyne. Schriften des Internationalen Warburg-Kollegs », p. 87-105.
Ganay 1962 : Ernest de Ganay, André Le Nostre, 1613-1700, Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1962, coll. « Les grands architectes ».
Gurlitt 1889 : Cornelius Gurlitt, « Ein altes Skizzenbuch », Der Bär, n° 15, 1889, p. 478-481.
Gurlitt 1922 : Cornelius Gurlitt, « Drei Künstlerreisen aus dem 17. Jahrhundert, Teil III. Christoph Pitzlers Skizzenbuch (1689) », Stadtbaukunst alter und neuer Zeit, vol. 3, 1922, n° 10/11, p. 151-155, 164-169.
Heckmann 1996 : Hermann Heckmann, « Christoph Pitzler 1657-1707 », dans Id. (dir.), Baumeister des Barock und Rokoko in Sachsen, Berlin, Verl. Bauwesen, 1996, p. 77-82.
Heise/Säckl 2007 : Barocke Fürstenresidenzen an Saale, Unstrut und Elster, éd. par le Museumsverbund “Die fünf Ungleichen e. V.” et le Museum Schloss Moritzburg Zeitz, sous la dir. de Joachim Säckl et Karin Heise, Petersberg, Michael Imhof, 2007.
Lorenz/Salge 1998 : Berliner Baukunst der Barockzeit. Die Zeichnungen und Notizen aus dem Reisetagebuch des Architekten Christoph Pitzler (1657-1707), éd. par Hellmut Lorenz et Christiane Salge, Berlin, Nicolai, 1998.
Marperger 1711 : Paul Jacob Marperger, Historie und Leben der berühmtesten Europäischen Baumeister [...], Hambourg, Schiller, 1711.
Niemann 1927 : W. B. Niemann, « Der Herzoglich Sächsische Baumeister Christoph Pitzler », Zeitschrift für Bauwesen, n° 77, 1927, p. 43-48.
Paulus 2011 : Simon Paulus, Deutsche Architektenreisen : zwischen Renaissance und Moderne, Petersberg, Michael Imhof, 2011.
Paulus 2014 : Simon Paulus, « “Ein- und andere Örther” Zur Reflexion des “Donauraums” als Architekturlandschaft im Reisebericht der Frühen Neuzeit », dans Barocke Kunst und Kultur im Donauraum, actes du congrès scientifique international (Passau et Linz, 9-13 avril 2013), éd. par Karl Möseneder, Michael Thimann et Adolf Hofstetter, revu par Ludger Drost, 2 vol, Petersberg, Michael Imhof, 2014, vol. 1, p. 100-112.
Pitzler 2014 : « Étude du voyage en France et du séjour à Versailles de Christoph Pitzler, extrait de son carnet d’esquisses (1685-1688) conservé à la Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg », éd. par Florian Dölle, Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, [En ligne], 2014. URL : http://journals.openedition.org/crcv/12347 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crcv.12347.
Säckl 1999 : Joachim Säckl, « Zum Leben und Wirken des Fürstlich Sächsischen Landbaumeisters Christoph Pitzler », Burgen und Schlösser in Sachsen-Anhalt : Mitteilungen der Landesgruppe Sachsen-Anhalt der Deutschen Burgenvereinigung e.V., n° 8, 1999, p. 185-204.
Titze 1994 : Mario Titze, « Der Schloßbau zu Weißenfels in seiner Bedeutung für die Geschichte der Kunst des 17. Jahrhunderts in Mitteldeutschland », dans 300 Jahre Schloß Neu-Augustusburg, 1660-1694 : Residenz der Herzöge von Sachsen-Weißenfels. Festschrift, éd. par le Freundeskreis Schloß Neu-Augustusburg, Weißenfels, Freundeskreis Schloss Neu-Augustusburg, 1994, p. 37-56.
Titze 2007 : Mario Titze, Barockskulptur im Herzogtum Sachsen-Weissenfels, éd. par le Landesamt für Denkmalpflege und Archäologie Sachsen-Anhalt - Landesmuseum für Vorgeschichte, Petersberg, Michael Imhof, 2007, coll. « Denkmalorte, Denkmalwerte », n° 4.
Weber 1985 : Gerold Weber, Brunnen und Wasserkünste in Frankreich im Zeitalter von Louis XIV : mit einem typengeschichtlichen Überblick über die französischen Brunnen ab 1500, Worms, Werner’sche Verlagsgesellschaft, 1985.
Ziegler 2010 : Hendrik Ziegler, Der Sonnenkönig und seine Feinde. Die Bildpropaganda Ludwigs XIV. in der Kritik, préface de Martin Warnke, Petersberg, Michael Imhof, 2010, coll. « Studien zur internationalen Architektur- und Kunstgeschichte », n° 79.
Ziegler 2013 : Hendrik Ziegler, Louis XIV et ses ennemis. Image, propagande et contestation, préface d’Andreas Beyer et Béatrix Saule, introduction de Martin Warnke, traduction d’Aude Virey-Wallon, Paris/Saint-Denis/Versailles, Centre allemand d'histoire de l'art/Presses universitaires de Vincennes/Centre de recherche du château de Versailles, 2013.
Collaborateurs et collaboratrices
Texte d’introduction : Hendrik Ziegler, revu par Florian Dölle (qui s’est appuyé sur son mémoire de master et sa thèse de doctorat) et Marion Müller ; traduction en français : Jean-Léon Muller.
Transcription de l’édition (Pitzler) : Florian Dölle, revue par Hendrik Ziegler.
Annotation de l’édition (Pitzler) : Florian Dölle, Marion Müller et Hendrik Ziegler.
Rédaction des index en allemand et en français : Bastien Coulon, Florian Dölle, Angela Göbel, Anna Hartmann, Marion Müller, Alexandra Pioch et Hendrik Ziegler, revue et complétée par Jean-Léon Muller et Marie-Paule Rochelois.
Traduction en français de la transcription annotée : Florence de Peyronnet-Dryden, revue par Hendrik Ziegler, Alexandra Pioch, Florian Dölle et Jean-Léon Muller.
Encodage de l’édition allemande et française (Pitzler) : Florian Dölle, revu par Chloé Menut, Axelle Janiak et Mathieu Duboc.
Ferdinand Bonaventure comte de Harrach
Les pages consacrées en 1698 à la France dans le journal personnel de Ferdinand Bonaventure comte de Harrach constituent l’une des sources les plus originales et révélatrices de l’histoire de la perception et de la critique de l’art français vers 1700, et ce pour plusieurs raisons. Nous avons affaire à un diplomate, membre éminent de la noblesse habsbourgeoise, capable, comme maître d’œuvre et collectionneur de peintures, d’exercer un jugement solide, et doté d’un sens infaillible pour apprécier la qualité des œuvres. L’auteur s’exprime dans une langue factuelle et mesurée : il porte un regard critique sur les productions artistiques françaises sous une forme concise, mais jamais péjorative. De plus, bien qu’il séjourne incognito à Paris, son rang lui donne accès à nombre de palais princiers et hôtels particuliers, ses descriptions de certains intérieurs étant parmi les seules qu’on puisse trouver dans les relations de voyage de l’époque.
L’homme
Ferdinand Bonaventure comte de Harrach (1636-1706) est issu d’une famille noble d’Autriche et de Bohême (voir Kellenbenz 1966, p. 698-699 ; Pils 2002, p. 20 ; Harrach 2010, vol. 1, p. 187-188). Après la mort précoce de son père Otto Friedrich comte de Harrach (1610-1648), il fut élevé par son oncle Ernst Adalbert (1598-1667), cardinal-archevêque de Prague. C’est sous sa tutelle qu’il devint le compagnon de jeu de l’archiduc Léopold de Habsbourg, futur empereur de 1658 à 1705, une proximité à l’origine de l’amitié à vie qui lia les deux hommes (voir Arco-Zinneberg 1995, p. 9-10). Avant de devenir diplomate au service de son souverain, le comte de Harrach reçut une éducation conforme à son rang : études de droit à l’université de Vienne à partir de 1651, suivies du Grand Tour réalisé en 1655-1657. À cette occasion, il demeura plus longuement à Dole, alors capitale de la Franche Comté de Bourgogne, où il suivit des cours de droit à l’université locale, avant de se rendre à Bruxelles, puis à Paris. Il séjourna dans la capitale française en avril-mai 1657, mais la mort de l’empereur Ferdinand III (règne : 1637-1657) le contraignit à regagner Vienne, retour qui fut toutefois suivi d’un autre voyage de formation à Venise et à Rome, en 1658-1659 (voir Harrach 2010, vol. 1, p. 187).
En 1661, Harrach fut dépêché pour la première fois à Madrid, en tant qu’envoyé. Il y épousa Johanna Theresia von Lamberg (1639-1716), une dame d’honneur de la reine d’Espagne Marie-Anne d’Autriche, épouse de Philippe IV d’Espagne (règne : 1621-1665) (voir Oliván Santaliestra 2015). En 1665, le comte fut de nouveau envoyé à Madrid afin de remettre à l’une des filles de Philippe IV, l’infante Marguerite-Thérèse (1651-1673), les présents de mariage offerts par son futur époux, l’empereur Léopold Ier. En 1669 suivit une première mission diplomatique à Paris, à l’occasion du baptême du duc Philippe d’Anjou (1668-1671), cinquième enfant de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse d’Autriche. Ferdinand Bonaventure y représenta l’empereur, choisi comme parrain du prince qui vécut à peine quelques années. Harrach allait se souvenir de cette visite au moment de retourner à Paris, près de trente ans plus tard, en 1698.
Ferdinand Bonaventure séjourna de nouveau en Espagne, en 1673-1677, comme ambassadeur impérial (voir Oliván Santaliestra 2016), avant d’y être envoyé une troisième fois en 1697-1698 en tant qu’ambassadeur extraordinaire. Il devait y assister son fils, Aloys Thomas Raimund (1669-1742), accrédité comme ambassadeur impérial à Madrid depuis 1697 (et jusqu’en 1700). La raison de ce séjour était la mort attendue du roi Charles II, successeur sans descendance de Philippe IV, qui allait marquer l’extinction de la lignée masculine des Habsbourg d’Espagne. Vue de Vienne, la situation politique s’était détériorée à la suite de la mort, en mai 1696, de la mère du souverain Marie-Anne d’Autriche, qui avait longtemps exercé la régence pour son fils malade. La mission spéciale de Ferdinand Bonaventure avait pour objet d’influencer le roi et son entourage en faveur d’un règlement successoral au sein de la maison des Habsbourg d’Autriche. Mais l’entreprise se conclut par un échec. Peu avant sa mort, le 1er novembre 1700, Charles II désigna par testament Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, comme successeur. Ferdinand Bonaventure a tenu un journal détaillé pendant tout le temps de sa mission espagnole. À l’automne 1698, au cours de son voyage de retour, de Madrid à Vienne, le comte passa volontairement par Paris afin de pouvoir visiter la ville, ses édifices ainsi que les châteaux de la région. Nous publions ici les pages du journal qui font référence à ce séjour de plusieurs semaines en France.
Lorsque Ferdinand Bonaventure se présenta à l’empereur immédiatement après son retour à Vienne, le 7 décembre 1698, celui-ci le nomma Obersthofmeister (grand maître de la cour). La nomination prit effet début 1699, et il allait exercer cette fonction jusqu’à la mort du souverain en 1705 (voir Gaedeke 1872, p. 290-291). Harrach avait déjà occupé auparavant plusieurs postes prestigieux. Au retour de sa précédente mission en Espagne, en 1677, l’empereur l’avait nommé grand écuyer (voir Harrach 2010, vol. 1, p. 188), une fonction dans laquelle il est figuré sur une gravure d’après un dessin de Matthäus Küsel (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Bildarchiv und Grafiksammlung, inv. n° PORT_00114431_01 ; visible en ligne dans le Digitaler Portraitindex).
La source
Les documents de la famille Harrach sont conservés à Vienne aux archives d’État, section de l’administration générale, des finances et de la Chambre impériale (Österreichisches Staatsarchiv, Abteilung Allgemeines Verwaltungs-, Finanz- und Hofkammerarchiv). Le Tagebuch des Grafen Ferdinand Bonaventura I. von Harrach vom Jahre 1697 und 1698 (Journal du comte Ferdinand Bonaventure I de Harrach de 1697 et 1698) s’y trouve sous la dénomination « Harrach-Handschrift 134 ». Le livre de format allongé, de 28 x 20 cm, relié en cuir, doré et repoussé au dos, compte 1 209 pages. Le texte, écrit à l’encre sur papier, est de la main même du comte. Il est à noter qu’après la page de titre, chacune des deux années a sa propre pagination : pages 1 à 677 pour 1697 et pages 1 à 531 pour 1698. Nous restituons ici les 58 pages (445 à 512) du journal de l’année 1698.
Ce compte rendu journalier n’a pas été écrit dans l’intention d’être publié et n’a pas été davantage pensé comme un texte de justification à l’attention de l’empereur Léopold Ier. Le comte y consigne, sous une forme concise et néanmoins exhaustive, les expériences vécues jour après jour : des faits les plus quotidiens, incluant les conditions météorologiques et l’évolution de son état de santé, aux conversations, expériences et impressions les plus marquantes. Ce journal doit servir d’aide-mémoire personnel, et surtout familial, en particulier pour son épouse Johanna Theresia, restée en Allemagne.
Dans sa jeunesse, le comte a été constamment formé à la rédaction de journaux intimes ou de « notes quotidiennes » et, dès ses premiers périples de formation mentionnés plus haut, il tint des journaux de voyage, aujourd’hui conservés dans les archives familiales. Son oncle, le cardinal-archevêque Ernst Albrecht von Harrach, a dû exercer ici une influence décisive en formant le jeune comte à la discipline des notes quotidiennes. L’ecclésiastique a quant à lui livré le plus important fonds de notations journalières du XVIIe siècle jamais parvenu jusqu’à nous (voir l’édition critique en sept volumes Harrach 2010). L’écriture quotidienne – en particulier à l’attention du conjoint absent – était un exercice auquel Johanna Theresia, l’épouse du comte, se soumettait aussi régulièrement, surtout lorsque son mari était en mission diplomatique à l’étranger et qu’elle devait diriger seule les affaires familiales à Vienne (voir Pils 2002). Ce désir d’écrire se transmit également à son fils, Franz Anton von Harrach (1665-1727), prince-archevêque de Salzbourg, dont les « Notata » ont elles aussi été conservées (voir Brandhuber/Rainer 2010). Le journal de la mission diplomatique de 1697-1698 doit donc être considéré comme faisant partie d’une forme de communication intrafamiliale et même intergénérationnelle cultivée avec constance (sur les journaux personnels comme source dans l’étude de la monarchie des Habsbourg au début de la période moderne, voir Mat’a 2004). L’écriture ordonnée du comte n’a par conséquent rien d’étonnant et ne doit pas être interprétée à tort comme l’indice d’une transcription ultérieure de notes de voyage spontanées. La présence de blancs, partout dans le texte, comme celle de mots dédoublés et de fautes d’orthographe, va aussi à l’encontre de cette idée et indique un processus d’écriture concentré, mais néanmoins spontané. De fait, s’il y avait eu copie ultérieure, ces imperfections auraient été évitées. Il est en revanche probable que le comte ait d’abord écrit sur des feuilles simples (ou, plus exactement, pliées plusieurs fois), lesquelles n’ont été réunies et reliées sous forme de livre qu’après son retour. On en voudra pour preuve le fait que certaines des lignes s’étendent fort loin dans le pli, ce qui rend aujourd’hui leur lecture difficile. Qui plus est, le journal également conservé de la précédente mission diplomatique des années 1670 en Espagne a une reliure identique. Les deux volumes ont donc sans doute été reliés à une date ultérieure, au XVIIIe siècle.
Ferdinand Bonaventure avait quitté Vienne pour Madrid, le 13 mars 1697, et il commença son voyage de retour, le 9 octobre 1698, avec un détour volontaire par Paris afin d’explorer à loisir la ville et ses monuments, qu’il avait déjà vus au cours de séjours antérieurs (sur le périple à travers la France, voir dans le menu « Visualisations » la carte interactive). Harrach séjourna incognito, sans décliner son rang, afin d’échapper aux cérémonials de rigueur. Il demeura à Paris du 27 octobre au 17 novembre, visita la capitale, mais aussi Versailles et d’autres châteaux d’Île-de-France, avec l’œil d’un maître d’œuvre versé en architecture. En 1689, il avait racheté l’ancien palais familial, place de la Freyung à Vienne, passé en d’autres mains en 1658 et gravement endommagé par un incendie en juillet 1683, peu avant le siège de la ville par les Ottomans. Commencé en 1689, le remaniement du palais était en grande partie achevé en 1696 (voir Rizzi 1995, p. 11 ; Karlsen 2016, p. 99-107). Le comte était aussi en train de planifier la construction d’un pavillon dans le parc du château Prugg, une autre de ses propriétés à Bruck-sur-Leitha, au sud-est de Vienne (voir le journal publié ici p. 487). Mais Ferdinand Bonaventure ne possédait pas seulement un jugement avisé en matière d’architecture, il avait aussi développé un œil de connaisseur en peinture, en particulier pendant sa mission diplomatique en Espagne, et avait commencé à se constituer une collection. À Paris, il s’était fait portraiturer par Hyacinthe Rigaud en personne (l’original se trouve dans une collection privée britannique ; une excellente réplique exécutée par l’atelier de Rigaud est conservée à la Graf Harrach’sche Gemäldesammlung, au château de Rohrau ; voir Arco-Zinneberg 1995, fig. 9 et Perreau 2013, p. 141, cat. N°PC 583). Son fils Aloys Thomas Raimund devait considérablement agrandir la collection, surtout quand, après une brillante carrière diplomatique au service des Habsbourg, il accéda de 1728 à 1733 à la charge de vice-roi de Naples, le royaume appartenant à l’Autriche depuis 1714. De grande qualité, sa collection est conservée depuis 1966 au château de Rohrau, en Basse-Autriche (voir Arco-Zinneberg 1995, p. 4).
État de la recherche
Le « Journal du comte Ferdinand Bonaventure I de Harrach de 1697 et 1698 » a été partiellement transcrit et étudié en 1872, par l’historien Arnold Gaedeke. Comme il l’explique lui-même (voir Gaedeke 1872, p. 171), Gaedeke en a omis tous les passages qui, en dépit de leur intérêt pour l’histoire de l’art et des échanges culturels, sont moins utiles à la reconstitution des événements diplomatiques et politiques ayant abouti à la guerre de la Succession d’Espagne. Il fit de même pour la soixantaine de pages consacrées au voyage de retour du comte via Paris, qui sont éditées ici pour la première fois. Gaedeke soutenait déjà que les « Mémoires et négociations secrettes de Ferd. Bonav. comte d’Harrache », compilés en 1720 par un certain « Monsr. de la Torre », et dans lesquels Hermann Kellenbenz voyait encore une œuvre de Harrach (voir Kellenbenz 1966, p. 698-699), devaient être considérés comme un faux ne reposant pas sur la connaissance du journal (voir Gaedeke 1872, p. 170-171). Ces parties du journal ont en revanche été mises à profit dans les recherches en histoire de l’art relatives à la famille Harrach, et des extraits des pages concernant la France ont fait l’objet de citations (voir Lorenz 1995, p. 45-46 ; Ziegler 2010, notamment p. 156-158 et annexe XIV, p. 299-300, Ziegler 2013, p. 221-224 et annexe XIV, p. 380-381).
Hormis les éditions critiques – déjà mentionnées et pour certaines complètes – des journaux intimes, notes journalières et « Notata » des divers membres de la famille (voir Pils 2002 ; Harrach 2010 et Brandhuber/Rainer 2010), la recherche s’est principalement concentrée sur deux aspects : la constitution de la collection de peintures des Harrach (voir Arco-Zinneberg 1995 ; Kaltenegger 2004 ; Arco-Zinneberg 2012, Lindorfer 2014) et l’analyse des stratégies de la famille pour assurer sa promotion sociale et son influence à la cour, en particulier dans la phase de transition difficile qui a suivi le décès de Léopold Ier en 1705 (voir Hassler 2014). Ce faisant, le rôle important dévolu, dans l’ascension sociale du clan familial, à l’acquisition d’œuvres d’art comme à la constitution et au maintien de réseaux et de relations de mécénat a également été identifié et étudié (voir Lindorfer 2009).
L’extrait du journal publié ici montre clairement comment, pendant son séjour à Paris, le comte a été considéré comme un éminent « protecteur » et courtisé comme tel par plusieurs jeunes aristocrates demeurés dans la capitale pour leur éducation. Il serait possible d’étudier ces liens sociaux de façon plus approfondie (voir l’analyse exemplaire de la formation de tels réseaux dans l’étude de Veronika Hyden-Hanscho sur Alexandre Bergeret, l’agent culturel privilégié de Ferdinand Bonaventure comte de Harrach à Paris et à la cour de Versailles, durant 37 ans, de 1669 à 1706 ; Hyden-Hanscho 2013, p. 223-299). Pour citer un autre champ d’étude digne d’intérêt, le journal du comte de Harrach recèle aussi d’importantes indications sur le décor intérieur des demeures françaises vers 1700. Enfin, reste le souhait des chercheurs de voir aboutir l’édition complète du journal du séjour en Espagne de 1697-1698, lequel, comme l’a noté Gaedeke en 1872, contient des informations précieuses sur l’art à la cour d’Espagne (voir Gaedeke 1872, p. 171).
L’essentiel en un clic
Description par le menu des difficultés du voyage : à l’aller vers Paris, la voiture du comte est renversée presque quotidiennement (p. 457, 458, 459, 460 et 461) ; au retour, après le séjour à Paris, les conditions météorologiques contraignent Harrach à faire halte à Toul, une forte pluie ayant rendu un pont avant Nancy impraticable (p. 507).
Lors de son séjour à Paris, le comte se fait portraiturer en plusieurs séances par Hyacinthe Rigaud (p. 464, 475 et 491) ; le peintre s’est engagé à réaliser un portrait ressemblant mais néanmoins composé de façon artistique, donc quelque peu idéalisé (p. 480).
Le comte voit et décrit certaines pièces du château de Saint-Cloud, résidence de Monsieur frère du roi et de son épouse Élisabeth-Charlotte du Palatinat, un lieu très rarement évoqué dans d’autres journaux (p. 476 et 477).
Descriptions d’autres édifices royaux, comme le Garde-Meuble de la Couronne dans l’hôtel du Petit-Bourbon (p. 471), mais aussi d’intérieurs privés rarement ou peu mentionnés par les autres voyageurs, tel celui de M. Dorat, quai Malaquais (p. 472).
Lors de sa visite du château de Versailles, le comte pose un regard critique d’expert en architecture sur le coûteux éclairage zénithal de l’escalier des Ambassadeurs, par le moyen d’une grande verrière (p. 481-482).
Harrach évoque les académies de chevaliers du quartier Saint-Germain dirigées, entre autres, par Longpré et Bernardi. Elles forment de nombreux fils de la noblesse européenne, dont Harrach dresse une liste (p. 487) ; certains de ces jeunes aristocrates, qui séjournent à Paris pour leur éducation ou pour un « stage » au sein d’une ambassade, présentent leurs respects au comte (p. 463 et 465).
Bibliographie
Arco-Zinneberg 1995 : Schloß Rohrau – Graf Harrach’sche Gemäldesammlung, éd. par Ulrich Arco-Zinneberg, Rohrau, Schloßmuseum Rohrau, 1995.
Arco-Zinneberg 2012 : Ulrich Arco-Zinneberg, Schloss Rohrau, Graf Harrach’sche Familiensammlung, Ratisbonne, Schnell & Steiner, 2012, coll. « Kleine Kunstführer », vol. 960.
Brandhuber/Rainer 2010 : Christoph Brandhuber et Werner Rainer, « Ein Fürst führt Tagebuch. Die “Notata” des Salzburger Fürsterzbischofs Franz Anton Fürsten von Harrach (1665–1727) », Salzburg Archiv, n° 34, 2010, p. 205-262.
Gaedeke 1872 : Arnold Gaedeke, « Das Tagebuch des Grafen Ferdinand Bonaventura von Harrach während seines Aufenthalts am Spanischen Hofe in den Jahren 1697 und 1698 nebst zwei geheimen Instructionen », Archiv für Österreichische Geschichte, n° 48, 1872, p. 163-302.
Harrach 2010 : Ernst Albrecht von Harrach, Die Diarien und Tagzettel des Kardinals Ernst Adalbert von Harrach (1598-1667), éd. par Katrin Keller et Alessandro Catalano, 7 vol., Cologne/Vienne/Weimar, Böhlau, 2010, coll. « Veröffentlichungen der Kommission für Neuere Geschichte Österreichs », vol. 104.
Hassler 2014 : Éric Hassler, « Les Harrach face à la disgrâce. Les stratégies matrimoniales d’un lignage aristocratique autrichien à la fin du XVIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2014/2, n° 61-2, p. 176-201.
Hyden-Hanscho 2013 : Veronika Hyden-Hanscho, Reisende, Migranten, Kulturmanager. Mittlerpersönlichkeiten zwischen Frankreich und dem Wiener Hof (1630-1730), Stuttgart, Franz Steiner, 2013, coll. « Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte – Beihefte », vol. 221.
Kaltenegger 2004 : Ruth Kaltenegger, « Die Familie Harrach, das Königreich Neapel und Aufträge für Salzburg : familiäre Machtbestrebungen und die Auswirkungen auf eine aktive Kunstpolitik », Kunstgeschichte. Mitteilungen des Verbandes Österreichischer Kunsthistorikerinnen und Kunsthistoriker, n° 20/21, 2003/2004 (2004), p. 34-39.
Karlsen 2016: Anja Karlsen, Das mitteleuropäische Treppenhaus des 17. und 18. Jahrhunderts als Schaubühne repräsentativer Inszenierung : Architektur, künstlerische Ausstattung und Rezeption, Petersberg, Michael Imhof Verlag, 2016.
Kellenbenz 1966 : Hermann Kellenbenz, « Harrach, Ferdinand Bonaventura Graf von », dans Neue Deutsche Biographie, vol. 7, Berlin, Duncker & Humblot, 1966, p. 698-699. https://www.deutsche-biographie.de/pnd116484225.html#ndbcontent.
Lindorfer 2009 : Bianca Maria Lindorfer, Cosmopolitan Aristocracy and the Diffusion of Baroque Culture : Cultural Transfer from Spain to Austria in the Seventeenth Century, thèse de doctorat, Florence, European University Institute, Department of History and Civilization, 2009 [tapuscrit non publié mais consultable en ligne : http://hdl.handle.net/1814/12037].
Lindorfer 2014 : Bianca Maria Lindorfer, « Ferdinand Bonaventura von Harrach (1637-1706) und die Anfänge der Gräflich Harrach’schen Gemäldegalerie », Frühneuzeit-Info, n° 25, 2014, p. 99-112.
Lorenz 1995 : Hellmut Lorenz, « Domenico Martinelli und das Palais Harrach », dans Palais Harrach. Geschichte, Revitalisierung und Restaurierung des Hauses an der Freyung in Wien, éd. par la Österreichischen Realitäten-Aktiengesellschaft, Vienne, Universitätsverlag Rudolf Trauner, 1995, p. 41-50.
Mat’a 2004 : Petr Mat’a, « Tagebücher », dans Quellenkunde der Habsburgermonarchie (16.-18. Jahrhundert). Ein exemplarisches Handbuch, éd. par Josef Pauser, Martin Scheutz et Thomas Winkelbauer, Vienne/Munich, Oldenbourg, 2004, coll. « Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung », vol. 44, p. 767-780.
Oliván Santaliestra 2015 : Laura Oliván Santaliestra, « Johanna Theresia Lamberg (1639-1716). The Countess of Harrach and the Cultivation of the Body between Madrid and Vienna », dans Early Modern Dynastic Marriages and Cultural Transfer, éd. par Joan-Lluís Palos et Magdalena S. Sánchez, Farnham/Burlington, Ashgate, 2015, p. 213-234.
Oliván Santaliestra 2016 : Laura Oliván Santaliestra, « Idas y vueltas de un matrimonio de embajadores : memoria, identidad y género en los relatos de viaje de Fernando Bonaventura y Johanna Theresia Harrach (1673-1677) », dans Espacio, Tiempo y Forma, série IV : Historia Moderna, n° 29, 2016, p. 39-64. https://doi.org/10.5944/etfiv.29.2016.16802.
Perreau 2013 : Stéphan Perreau, Hyacinthe Rigaud (1659-1743) : catalogue concis de l’œuvre, Sète, Nouvelles Presses du Languedoc, 2013.
Pils 2002 : Susanne Claudine Pils, Schreiben über Stadt : das Wien der Johanna Theresia Harrach, 1639-1716, Vienne, Deuticke, 2002.
Rizzi 1995 : Wilhelm Georg Rizzi, « Das Palais Harrach auf der Freyung », dans Palais Harrach. Geschichte, Revitalisierung und Restaurierung des Hauses an der Freyung in Wien, éd. par la Österreichischen Realitäten-Aktiengesellschaft, Vienne, Universitätsverlag Rudolf Trauner, 1995, p. 11-40.
Ziegler 2010 : Hendrik Ziegler, Der Sonnenkönig und seine Feinde. Die Bildpropaganda Ludwigs XIV. in der Kritik, préface de Martin Warnke, Petersberg, Michael Imhof, 2010, coll. « Studien zur internationalen Architektur- und Kunstgeschichte », vol. 79.
Ziegler 2013 : Hendrik Ziegler, Louis XIV et ses ennemis. Image, propagande et contestation, préface d’Andreas Beyer et Béatrix Saule, introduction de Martin Warnke, traduction d’Aude Virey-Wallon, Paris/Saint-Denis/Versailles, Centre allemand d’histoire de l’art/Presses universitaires de Vincennes/Centre de recherche du château de Versailles, 2013.
Collaborateurs et collaboratrices
Texte d’introduction : Hendrik Ziegler, revu par Marion Müller et Florian Dölle ; traduction en français : Jean-Léon Muller.
Transcription de l’édition (Harrach) : Marion Müller, revue par Hendrik Ziegler.
Annotation de l’édition (Harrach) : Marion Müller, Hendrik Ziegler et Nicole Taubes.
Rédaction des index en allemand et en français : Bastien Coulon, Florian Dölle, Angela Göbel, Anna Hartmann, Marion Müller, Alexandra Pioch et Hendrik Ziegler, revue et complétée par Jean-Léon Muller et Marie-Paule Rochelois.
Traduction en français de la transcription annotée : Nicole Taubes, revue par Hendrik Ziegler, Marion Müller et Alexandra Pioch.
Encodage de l’édition allemande et française (Harrach) : Marion Müller, revu par Chloé Menut, Axelle Janiak et Mathieu Duboc.
Lambert Friedrich Corfey
Le journal de voyage de Lambert Friedrich Corfey s’inscrit dans la longue tradition des écrits de voyageurs humanistes, dont l’une des caractéristiques essentielles est l’inventaire des principales attractions touristiques et curiosités rencontrées et, surtout, le relevé aussi passionné que minutieux des inscriptions latines ornant édifices et monuments. Mais en plus des bâtiments et avancées techniques qui suscitent leur intérêt, Lambert Friedrich et son frère cadet et compagnon de voyage Christian Heinrich accordèrent aussi – c’est ce qui fait toute la singularité de leur récit – une place à leurs impressions personnelles sur le pays parcouru, ses habitants et ses coutumes religieuses. Le journal prend ainsi un caractère hybride, propre à la phase de transition entre l’humanisme tardif et le début des Lumières, une particularité encore insuffisamment étudiée par les chercheurs.
L’homme
L’officier d’artillerie, ingénieur militaire et architecte Lambert Friedrich Corfey le Jeune († 1733) vit le jour le 11 octobre 1668 dans la ville de Warendorf, à l’est de Münster. Il était l’aîné des six enfants de l’officier d’artillerie Lambert Friedrich Corfey l’Ancien (1645-1700) et de son épouse Magdalena née Middendorf, fille du bourgmestre de Warendorf (sur la biographie de Corfey le Jeune, voir Rensing 1936 ; Corfey 1977, p. 1-14 ; Luckhardt 1978, p. 27-47 ; Lahrkamp 1987 ; Dethlefs 2000). En juillet 1670 naquit Christian Heinrich, deuxième fils du couple († 1752), qui devint l’inséparable compagnon de voyage de son frère aîné.
Lambert Friedrich Corfey l’Ancien avait accédé au grade de maréchal de camp (actuel général de brigade) puis de commandant militaire de Warendorf et enfin de commandant en chef de l’artillerie de la principauté épiscopale de Münster. Sa réputation d’artilleur expérimenté le conduisit même à être affecté en 1688 à l’armée impériale qui faisait le siège de Belgrade, alors occupée par les Ottomans (voir Dethlefs 1977). Il veilla à donner une solide éducation humaniste à ses deux fils, qui fréquentèrent sans doute le collège franciscain de Warendorf, puis avec certitude le « Carolinum », collège jésuite d’Osnabrück, en 1680-1681, avant d’intégrer très probablement celui de Münster, le « Paulinum ». Lambert Friedrich et Christian Heinrich marchèrent ensuite sur les pas de leur père en suivant une formation militaire au sein de son régiment.
Lambert Friedrich accompagna même son père au siège de Belgrade et, au moment de la guerre de la ligue d’Augsbourg, il servit jusqu’en 1697 dans les troupes de Münster, engagées contre les Français aux côtés de l’armée impériale, dans la région du Rhin supérieur et sur la Meuse (voir Corfey 1977, p. 3). Les deux frères – Lambert Friedrich avec le grade de capitaine et Christian Heinrich avec celui de lieutenant – entamèrent le Grand Tour qui devait les conduire à travers les Provinces-Unies, la Flandre, la France et l’Italie, et c’est Lambert Friedrich qui réunit leurs impressions communes dans le journal édité ici. Comme mentionné en première page du document, leur entreprise avait reçu l’approbation de leur plus éminent employeur, en la personne du prince-évêque Friedrich Christian von Plettenberg (1644-1706), qui régnait depuis 1688 sur la principauté épiscopale de Münster. Les deux frères prirent cependant les frais du voyage à leur charge (voir Lahrkamp 1987, p. 80). Leur séjour prolongé à Paris, de début juillet 1698 à début juin 1699, avait non seulement pour objet l’étude des édifices et œuvres d’art remarquables de la capitale française et de l’Île-de-France, mais aussi la fréquentation d’une des académies de chevaliers du quartier Saint-Germain. S’y ajouta un cours de langue, entre mi-juin et début septembre 1699 à Angers, afin de parfaire leur maîtrise du français (sur l’importance d’Angers comme lieu de formation des étrangers pendant leur Grand Tour, voir Bepler 1988, p. 143). Officiers d’artillerie, les deux voyageurs s’intéressèrent non seulement à l’architecture ainsi qu’aux arts antiques et contemporains, mais aussi aux fortifications et aux ouvrages de génie civil : dispositifs de pompage, canaux, routes et ponts. Dans le sud de la France, ils empruntèrent ainsi le canal du Midi achevé il y a peu, en 1681, et se montrèrent fascinés par son système d’écluses. Avant d’entreprendre ce voyage, Lambert Friedrich n’avait produit aucun plan en tant qu’architecte. Voilà qui pourrait expliquer qu’en dépit de la place importante réservée dans le journal à la description et à l’évaluation générale de réalisations architecturales, il y est peu question des particularités et des détails des bâtiments, tant en matière de conception que de construction.
Après son retour, Lambert Friedrich fut promu en 1701 au grade de commandant, en 1713 à celui de lieutenant-colonel et en 1719 à celui de colonel. Sa carrière ne se déroula toutefois pas sans quelques aléas. En 1706, au moment du choix du nouveau prince-évêque, il avait fait tirer une salve en l’honneur du candidat finalement défait du parti impérial, le prince-évêque d’Osnabrück Charles-Joseph de Lorraine. Une fois le nouveau prince-évêque Franz Arnold von Wolff-Metternich zur Gracht au pouvoir, il tomba un temps en disgrâce, fut muté en 1707 à Meppen, et ne put revenir à Münster qu’en 1712 (voir Lahrkamp 1987, p. 84-85 ; Arciszewska 2002, p. 104). Enfin, peu avant sa mort, Lambert Friedrich Corfey accéda en 1732 au grade de Generalmajor (alors sans équivalent en France, actuel général de division) de l’électorat de Cologne et de la principauté épiscopale de Münster, lesquels avaient le même souverain. Inséparable de son frère aîné, avec qui il partageait depuis 1721 une maison du quartier Lamberti de Münster (« Lamberti-Leischaft »), Christian Heinrich fut aussi promu à la fin de sa carrière pour accéder au grade de Generalleutnant (lieutenant-général, actuel général de corps d’armée) commandant en chef de l’artillerie de la principauté épiscopale de Münster et gouverneur de Warendorf (voir Corfey 1977, p. 5 et 14).
En dehors de ses fonctions, Lambert Friedrich Corfey fut un historiographe et un chroniqueur de l’archevêché de Münster doublé d’un numismate passionné et d’un épigraphiste en inscriptions latines aussi doué qu’expérimenté. Sans doute disposait-il d’une bibliothèque et d’une collection de monnaies d’importance (voir Corfey 1977, p. 10-11). Toutefois, après son retour à Münster, c’est avant tout à l’architecture qu’il se consacra en autodidacte. Il livra ainsi de nombreux projets et évalua des études préparatoires ou des plans de bâtiments, pour l’essentiel destinés à la noblesse locale. L’exécution de ces plans était le plus souvent confiée à d’autres, ses obligations professionnelles d’officier d’artillerie l’empêchant d’assumer le rôle de maître d’œuvre (voir Böker 1995, p. 624). Lambert Friedrich Corfey est considéré comme le principal représentant, à Münster, d’un style classique, sobre et dépouillé. Ses projets tout comme ses quelques réalisations – églises, résidences de campagne, résidences urbaines d’ecclésiastiques et de nobles séculiers (« Kurien und Stadthöfe ») – furent souvent conçus dans le contexte d’une concurrence stimulante avec Gottfried Laurenz Pictorius (1663-1729). Cet officier d’infanterie et ingénieur des ponts et chaussées de Münster, en poste depuis 1685, était secondé dans la réalisation de ses bâtiments par son frère cadet Peter (1673-1733) également auteur de nombreux projets de sa propre invention. Corfey appartenait donc, comme Pictorius, à cette génération d’architectes militaires de Münster sur laquelle put s’appuyer leur successeur Johann Conrad Schlaun (1695-1773), qui servit lui aussi dans l’armée. Schlaun n’abandonna pas les conceptions propres au classicisme baroque de Corfey et de Pictorius, mais accentua de façon décisive le caractère ostentatoire des façades par un ordonnancement plus élaboré des différents motifs architecturaux. Pour ce qui est de la distribution des espaces intérieurs, tout comme les frères Pictorius, Corfey a eu, en Westphalie, le mérite d’ériger en modèle la symétrie et la disposition en enfilade de l’appartement classique à la française. La prochaine génération de maîtres bâtisseurs initiée par Schlaun allait adapter ce schéma aux nouvelles exigences de la « commodité », par un ordre et une articulation plus libres des différentes pièces (pour la topographie de ses réalisations et la place de l’œuvre de Corfey dans l’histoire de l’architecture, voir Lahrkamp 1980 et Böker 1995 ; sur la réception par Schlaun de la distribution des pièces à la française, voir Krause 1995).
Hans Josef Böker a montré à quel point, à Münster, les divers praticiens talentueux de l’architecture – Gottfried Laurenz Pictorius et son frère Peter Pictorius le Jeune, évoqués ci-dessus, ainsi que Lambert Friedrich Corfey et, plus tard, Johann Conrad Schlaun – se sont mutuellement stimulés et donc aidés, à la faveur de leurs projets et contre-projets. Cette atmosphère de travail amicale, collégiale mais aussi compétitive rend aujourd’hui difficile la datation des plans et l’attribution univoque des bâtiments à un seul et même architecte (voir Böker 1995, p. 624). Lambert Friedrich Corfey a apporté son concours aux constructions les plus diverses, comme concepteur ou à titre de conseiller (pour de nombreuses informations à faire figurer dans un catalogue de ses œuvres, lequel reste à établir, voir Corfey 1977, p. 6-8 ; Lahrkamp 1980 ; Mummenhoff 1984 ; Lahrkamp 1987 ; Böker 1989 ; Böker 1990 ; Böker 1995 ; Dethlefs 2002 ; Arciszewska 2002, p. 97-147). En voici quelques exemples :
-
églises (de l’église paroissiale de Cloppenburg-Krapendorf, édifice de taille moyenne, à l’imposante église du monastère des Dominicains de Münster, à laquelle il n’a cessé de contribuer de 1705 à 1725) ;
-
résidences de campagne de la noblesse dans les environs de Münster (maison Steinfurt à Drensteinfurt, édifiée selon ses plans de 1704 à 1709 ; maison Lütkenbeck, dont il a dessiné le chatelet d’entrée toujours visible aujourd’hui : deux pavillons octogonaux communiquant par des galeries en arc de cercle avec deux dépendances, le tout disposé devant la maison seigneuriale due à Pictorius et détruite par un incendie dès 1720) ;
-
résidences urbaines de la noblesse séculière de Münster (les « Stadthöfe ») et, celles des chanoines nobles (les « Kurien »), construites autour de la place de la cathédrale (la Kettelersche Doppelkurie ou Double curie Keteller, du nom de son commanditaire, édifiée de 1712 à 1716 sur des plans de Corfey, à partir d’un projet de Pictorius, voir Dethlefs 2002 ; le Steinfurter Hof, 1716-1720, pour lequel Pictorius présenta un projet concurrent ; la Domdechanei, résidence de l’évêque de Münster, achevée en 1732 et attribuée jusqu’à présent à Pictorius ou à Schlaun, voir Böker 1995, p. 632-633) ;
-
châteaux (plan et maquette de présentation en bois pour la résidence de l’électeur de Hanovre dans le quartier de Herrenhausen, qui prévoyait un édifice directement inspiré de la villa Rotonda d’Andrea Palladio. Ce modèle allait jouer un rôle non négligeable dans la diffusion de l’architecture palladienne comme style de prédilection de la cour britannique, quand la maison de Hanovre monta sur le trône de Grande-Bretagne en 1714, voir Böker 1989 et Arciszewska 2002, p. 97-147) ;
-
arpentage militaire dont témoigne un plan non publié de Marsberg de 1689, conservé dans les collections du musée municipal de Münster. Cette activité conduisit Corfey à critiquer la conception du canal Max-Clemens, aménagé de 1724 à 1731, sous la direction de l’ingénieur hydraulicien frison Georg Michael Meetsma, de Münster jusqu’à Neuenkirchen, soit 30 kilomètres en direction des Provinces-Unies ; voir les notes de Corfey sur l’histoire du canal Max-Clemens, Corfey 1977, p. 301-324) ;
-
travaux d’artificiers, dont un spectacle pyrotechnique pour l’élection du prince-évêque Clément-Auguste de Bavière comme coadjuteur de son frère Joseph-Clément de Bavière, prince-électeur archevêque de Cologne, en décembre 1722, voir Mummenhoff 1976, p. 224-227, et Mummenhoff 1984, p. 117).
À l’évidence, Lambert Friedrich a tiré profit de son voyage éducatif et ce qu’il y a vu l’a frappé à plusieurs titres. Partant d’une pratique éclectique de l’esquisse typique de son temps, il a enrichi ses plans et réalisations architecturales d’orientations et d’idées nouvelles. Outre le classicisme hollandais, reposant sur l’usage de la brique, et le modèle des villas de la terre ferme vénitienne, l’architecture civile et religieuse française a également joué un rôle important. Les Stadthöfe et « curies » de Münster, avec leurs corps de logis en retrait de la rue, flanqués de deux ailes imposantes, semblent reprendre le schéma français de l’hôtel particulier parisien, avec sa partie résidentielle « entre cour et jardin ». Mais ce modèle prend ici une forme autochtone bien particulière. Les avant-cours ne sont pas, comme en France, isolées de la rue par un mur. Elles restent visibles, une simple grille les séparant de l’espace urbain (voir Krause/Scheckenbach 2017, p. 64). Corfey joua un rôle central dans ce processus de transposition. Pour ce qui est de l’architecture religieuse, l’influence du « modèle français » peut se lire dans le plan de l’église des Dominicains de Münster. La chapelle de la Sorbonne (construite en 1635-1648 sur des plans de Jacques Lemercier) a servi de modèle, avec sa coupole centrale surmontant la croisée du transept, placée en avant du chœur (voir Luckhardt 1978, p. 58-59). La façade finalement retenue, avec la sobriété de son ordonnancement aux murs plats, rythmés par un décor sculpté aux volumes peu marqués, doit beaucoup à celle de la chapelle du noviciat des Jésuites de Paris, aujourd’hui disparue (érigée en 1630-1642 sur les plans du père Étienne Martellange) (voir ibid., p. 71-72.). Sans la connaissance de l’architecture française, observée sur place par l’architecte, une telle solution n’aurait pas vu le jour.
Lambert Friedrich Corfey mourut à Münster, victime d’une apoplexie, le 18 février 1733. Il fut inhumé dans la crypte sous le maître-autel de l’église des Dominicains, un des édifices dont il avait marqué la conception de façon décisive. En l’honneur de son confrère décédé, Johann Conrad Schlaun conçut une épitaphe qui fut placée dans l’église. Le Westfälisches Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte (musée d’art et d’histoire du Land de Westphalie) de Münster conserve un dessin au lavis de Johann Wilhelm Güding, copie du projet original perdu de Schlaun (Schlaun-Bd. 284 ; facsimilé disponible en ligne ; voir Rensing 1936, ill. p. 245 ; Mummenhoff 1984, p. 126, ill. 118 ; Lahrkamp 1987, planche entre les pages 84 et 85 ; Matzner 1995, p. 88 ; Dethlefs 1996, p. 16-21 et 65). L’exécution du projet a été confiée au sculpteur Johann Christoph Manskirch. Sous un bas-relief où deux personnages en armure (Mars et Pallas Athénée) présentent les armes parlantes de la famille Corfey – un panier et un œuf –, une simple tablette en pierre porte l’inscription suivante : « FRIDERICH. LAMBERT. VON / CORFEY. SEINER CHURFÜRST: / DURCH: ZU CÖLLEN GENERAL / MAJOR OBRISTER UND COMMEN / DANT: DER MUNSTRIS: ARTILLE: » (Friedrich Lambert von Corfey, fait, par son altesse le prince-évêque de Cologne, commandant, colonel et commandant en chef de l’artillerie de Münster). L’ensemble était entouré d’un cadre richement sculpté, sans doute en stuc imitant le marbre où figuraient : en bas, une urne funéraire, d’un côté de l’inscription, un trophée d’armes, de l’autre, des instruments scientifiques, et enfin la figure de Pégase en guise de couronnement. En plus de cette épitaphe ornée, peut-être placée dans l’embrasure d’une des baies de la nef, une plaque avec une longue inscription latine, imaginée par Corfey lui-même, avait été scellée devant le maître-autel (transcription et traduction de l’inscription dans Corfey 1977, p. 13-14). Cependant, dans la seconde moitié du XIXe siècle, hormis le bas-relief des armes de la famille Corfey, l’épitaphe fut démantelée et détruite, et la grande plaque portant l’inscription devant le maître-autel fut extraite (voir Mummenhoff 1984, p. 127-128 ; Lahrkamp 1987, p. 98 ; Matzner 1995, p. 89-91). Les deux parties restantes, bas-relief et inscription, qui à l’origine ne devaient pas se côtoyer, ont été réunies dans le chœur à gauche, derrière le maître-autel, en un nouvel ensemble commémoratif. Celui-ci a survécu à la destruction presque totale de l’église des Dominicains pendant la Seconde Guerre mondiale et se trouve encore aujourd’hui à cet emplacement dans l’édifice reconstruit (voir Corfey 1977, ill. avant la p. 1 ; Mummenhoff 1984, p. 126, ill. 119).
La source
Le document édité porte pour titre Tagebuch von Lambert Friedrich Corfey über seine Reisen durch Frankreich, Italien, Sizilien und Malta, 1698-1700 (Journal de Lambert Friedrich Corfey sur son voyage à travers la France, l’Italie, la Sicile et Malte, 1698-1700). Ce journal est conservé depuis 1924 à Münster au Landesarchiv Nordrhein Westfalen, Abteilung Westfalen (Archives du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, section Westphalie), en tant que dépôt du Verein für Geschichte und Altertumskunde Westfalens (Association pour l’histoire et le patrimoine de Westphalie), sous la cote « Manuskripte Nr. 442 » (Manuscrits n° 442) (voir Koppetsch 2011, p. 32, n° 15). Relié en cuir, le volume d’un format à la française, de 21 x 16 cm, compte 519 pages. Il porte au dos l’inscription « Itinerar[ium] Galliae, Italiae, Siciliae, Maltae » et présente sur sa première de couverture une étiquette où figure la cote. Le texte à l’encre noire sur papier a été écrit et paginé de la main de Corfey. Les armes de la famille Corfey, panier à anse et œuf, ont été apposées au tampon sec en haut de la première page du manuscrit. Comme en témoigne un ex-libris imprimé, collé dans l’ouvrage, celui-ci se trouvait dans la bibliothèque du médiéviste anglais Robert Steele (1860-1944), à Wandsworth Common, au sud de Londres, avant de revenir en Westphalie par l’intermédiaire du marché de l’art.
On peut supposer que Lambert Friedrich Corfey est parti des premières notes, compilées sur place, pour rédiger d’emblée son journal au propre. Son frère et compagnon de voyage Christian Heinrich Corfey n’y est pas nommément cité mais, dans le texte, le « nous » revient de façon répétée. Les descriptions et les impressions ressenties, consignées dans le journal, reposent donc bien sur les expériences vécues en commun par les deux frères.
Le journal couvre la période allant du départ de Warendorf, le 18 juin 1698, au retour dans cette même ville, le 12 octobre 1700. L’itinéraire passait d’abord par l’Allemagne du Nord, les Provinces-Unies et les Pays-Bas espagnols jusqu’en France, où fut organisé un séjour prolongé à Paris (du 9 juillet 1698 au 3 juin 1699). Le voyage se poursuivit alors par Angers, dans la région de la Loire, où les deux frères suivirent des cours de français pendant plusieurs mois avant de poursuivre vers le sud du pays et l’Italie. Un séjour prolongé à Rome (du 13 décembre 1699 au 13 avril 1700) fut suivi d’un crochet par Naples avant la Sicile et Malte. Le voyage de retour passa par Venise, Innsbruck et Cologne jusqu’à Münster (sur le périple, voir dans le menu « Visualisations » la carte interactive Europe (itinéraires) ; Koppetsch 2011, p. 32, n° 15 ; Paulus 2011, p. 38-39, avec une carte statique du périple, et Paulus 2014, p. 105).
Outre leur journal, les frères Corfey tinrent probablement un carnet de croquis et réalisèrent nombre de dessins (évoqués p. 76, au sujet des manœuvres à Compiègne, le 14 septembre 1699, et p. 80, à propos de la visite de la machine Marly, le 25 septembre 1699). Restés introuvables jusqu’à aujourd’hui, ces dessins doivent donc être considérés comme perdus (voir Corfey 1977, p. 22 ; Lahrkamp 1987, p. 84).
En 1977, Helmut Lahrkamp, ancien directeur des archives municipales de Münster, a retranscrit et annoté le journal de Corfey pour le publier sous forme de livre (voir Corfey 1977). Cette version a servi de point de départ à notre édition en ligne. La transcription de Lahrkamp a cependant fait l’objet d’un examen critique à la lumière du manuscrit original et a été largement complétée et améliorée. En outre, les nombreuses inscriptions latines, omises dans le livre par Lahrkamp, ont été rétablies. Les longs passages rédigés pour partie en latin situent le document dans la période charnière entre l’humanisme tardif et le début des Lumières. Si les frères Corfey se considéraient toujours comme des « antiquaires » érudits, voués à l’étude des monuments anciens, ils ont su jeter un regard sans a priori sur les pays visités et leurs habitants dont témoignent les observations qui émaillent leur manuscrit. Celui-ci est donc doublement révélateur. D’une part, il s’inscrit encore dans la tradition des périples de voyageurs humanistes, entrepris depuis le XVIe siècle avant tout pour recenser et étudier les vestiges du monde antique (sur la tradition du voyage humaniste, voir Bepler 1988, p. 28). D’autre part, il dénote déjà une approche émotionnelle, certes retenue, une particularité qui en fait un écrit précurseur des relations de voyage de l’époque des Lumières (voir Lahrkamp 1987, p. 84).
Sur les 519 pages du manuscrit, notre édition numérique ne reproduit que les pages 1 à 190, allant du départ de Warendorf, le 18 juin 1698, à l’arrivée à Gênes, le 10 novembre 1699. Pour la cohérence scientifique du projet, nous nous sommes donc limités à la première partie du voyage, qui conduisit les frères Corfey en France, via les Provinces-Unies et les Pays-Bas espagnols jusqu’à Paris, puis à Gênes, par le sud du pays. La partie du journal consacrée à l’Italie a donc été omise (voir Corfey 1977, p. 121-295). Le décompte passe sans transition de la page 45 à la 50, sans qu’il y ait apparemment de page manquante. Puis vient une seconde page « 50 » (au lieu de « 51 »), la pagination passant ensuite directement au « 52 », pour se poursuivre de façon régulière par ordre croissant (« 53 », « 54 » et ainsi de suite). Quant au texte, il ne présente aucun manque. À la fin de son manuscrit, Corfey a ajouté plusieurs listes et index : un relevé des abréviations des inscriptions latines (5 pages), un index des noms et des sujets mentionnés (10 pages), un tableau de conversion de différentes monnaies en pistoles espagnoles, incluant un inventaire des frais de transport (3 pages). Ce dernier est reproduit dans Corfey 1977, p. 296-298. D’après ces comptes, à leur arrivée à Gênes, les frères avaient dépensé 192 livres pour leur voyage (voir ibid. p. 299).
Corfey a utilisé presque partout l’écriture cursive allemande, les lettres latines lui servant toutefois à reproduire les expressions en latin, en français ou empruntées à d’autres langues étrangères. Lahrkamp s’est assuré qu’il s’agissait bien de l’écriture de Lambert Friedrich Corfey en la comparant à celle d’autres textes de sa main, qu’il a, pour certains, retranscrits en annexe à son édition du journal (voir Corfey 1977, p. 301-338). Sur la plupart des pages du journal de voyage, rédigé à l’encre et à la plume, le texte écrit au revers apparaît par transparence, un phénomène courant dans ce type de manuscrits. Qui plus est, des caractères du texte et des commentaires en marge se sont également imprimés en grisé, de façon inversée, sur les pages précédentes ou suivantes du journal. Ce phénomène s’observe surtout dans les premières pages. Ainsi, sur la page 2, on voit nettement la surimpression inversée d’une inscription qui figure sur la page de garde. La feuille en question n’a pas été incluse dans notre édition, car elle ne contient qu’une annotation d’une autre main, de plus avec une date erronée. On peut y lire que le manuscrit serait celui d’un « Anno 1697 Reyse » (« voyage de l’année 1697 ») des frères Corfey. Lahrkamp a déjà relevé que la date exacte était 1698. Il a aussi retranscrit cette annotation (voir Corfey 1977, p. 23). Aucune de ces inscriptions en surimpression n’a été prise en compte dans notre édition.
État de la recherche
Plusieurs chercheurs se sont déjà distingués dans la reconstitution et la classification de la production architecturale de Lambert Friedrich Corfey : Helmut Lahrkamp, Jochen Luckhardt, Karl Eugen Mummenhoff, Hans Josef Böker, Gerd Dethlefs et Barbara Arciszewska (voir Corfey 1977 ; Luckhardt 1978 ; Lahrkamp 1980 ; Lahrkamp 1987 ; Mummenhoff 1984 ; Böker 1989 ; Böker 1990 ; Böker 1995 ; Dethlefs 2002 ; Arciszewska 2002). Cependant, leurs travaux remontent à au moins quinze ans et il manque toujours une étude monographique assortie d’un catalogue de l’œuvre architecturale de Corfey. L’auteur de ce texte d’introduction a, pour sa part, tenté d’interpréter les impressions produites sur Lambert Friedrich et Christian Heinrich Corfey par le château et le jardin de Versailles et consignées dans le journal (voir Ziegler 2010, p. 168-170 ; Ziegler 2013, p. 212-215). Simon Paulus a récemment replacé le Grand Tour des frères Corfey à travers l’Europe occidentale dans le contexte plus large des voyages architecturaux (voir Paulus 2011, p. 38-44 et Paulus 2014, p. 105).
Il reste encore à mieux comprendre le rôle de médiateur joué par Lambert Friedrich Corfey, entre la France et l’espace germanique, à travers sa mise en œuvre, dans le vieil empire allemand, de choix architecturaux marqués par le classicisme. Les points de convergence possibles avec les positions théoriques formulées par Leonhard Christoph Sturm n’ont pas encore été examinés. L’influence que les appartenances confessionnelles de Corfey et de Sturm (catholicisme pour le premier, piétisme et calvinisme pour le second) ont pu exercer sur le développement en Allemagne d’un classicisme plus sobre serait une autre piste à explorer. Du point de vue de l’histoire culturelle et sociale, le journal peut aussi faire l’objet de diverses analyses. À cet égard, la perception du Midi de la France des frères Corfey a été analysée par Smets (voir Smets 1998 et 2000). On pourrait aussi examiner les passages misogynes du journal (p. 107, 111, 133-134, 166) sous l’angle des études de genre. À ce propos, mentionnons aussi les considérations négatives formulées dans ses Architectonischen Reise-Anmerckungen (Notes de voyage architecturales) par Leonhard Christoph Sturm au sujet des femmes, selon lui exclusivement occupées à séduire les hommes pour mieux les dépouiller pendant la foire Saint-Germain à Paris (ibid., p. 90).
L’essentiel en un clic
Le style de narration sobre et descriptif des frères Corfey, qui se contentent de rapporter l’expérience vécue, n’exclut nullement la formulation répétée d’observations et de commentaires critiques. À Paris, ils déplorent que les maisons situées trop près de la remarquable façade de l’église Saint-Gervais les empêchent de prendre le recul nécessaire pour l’admirer (p. 32-33). Ils trouvent aussi à redire à la pompe de la Samaritaine, construite sur le pont Neuf, son horloge ne donnant généralement pas l’heure exacte et son carillon étant moins séduisant que ceux des Pays-Bas (p. 40).
Le journal se distingue par les descriptions de paysages faites au fil du voyage. Les marais de Clairmarais, près de Saint-Omer, sont ainsi dépeints et admirés (p. 8). À l’occasion d’un parcours sur la Seine, la vue qu’offrent ses rives est appréciée (p. 99).
L’hôtel des Invalides est loué et sa construction par Louis XIV tenue en haute estime (p. 55-57). En exprimant leur admiration pour cette institution sociale du Roi-Soleil, les frères Corfey ne font pas exception, car presque tous les récits de voyage présentés ici incluent une description de l’édifice (voir Pitzler, p. 91-94 ; Knesebeck, fol. 29r-32v ; Sturm, p. 92-95). Un effet de lumière est aussi mentionné au passage : le scintillement des rayons du soleil sur le dôme en partie doré de l’église des Invalides (p. 56).
Les deux officiers d’artillerie de Münster décrivent en détail les importantes manœuvres militaires qui se déroulent à Compiègne, du 9 au 22 septembre 1698 (p. 66-88).
La machine de Marly est saluée comme un chef d’œuvre de la technique (p. 80-81) et un poème en latin est même composé en son honneur (p. 86). Les frères Corfey partagent, avec Pitzler (voir p. 141-143) et Sturm (voir p. 109), une même admiration pour cette importante installation de pompage de l’eau de la Seine.
À Versailles, Marc-Antoine Oudinet, adjoint au garde du Cabinet des médailles de roi, leur montre la collection de monnaies et de médailles de Louis XIV, dont celles qui composent l’« Histoire métallique », une série retraçant les hauts faits de son règne (p. 97).
Les frères Corfey entretiennent des contacts avec des compatriotes allemands à la cour de Versailles. Le 29 avril 1699, ils profitent de la mise en eau des fontaines à l’occasion de la visite à Versailles du comte Friedrich Christian zu Schaumburg-Lippe (p. 90). Le 11 mai 1699, ils se plient à l’invitation à une audience du cardinal Guillaume-Egon de Fürstenberg (p. 97-98), même si, en 1689, au moment de la querelle de succession pour l’archevêché de Cologne, Münster a été en guerre contre cet allié de longue date de Louis XIV. Remarquons que Corfey père avait très certainement connu Fürstenberg, car celui-ci avait dirigé la politique extérieure de la principauté épiscopale de Münster, de 1683 à 1688.
Description du pont Neuf de Toulouse, qui relie les deux rives de la Garonne (p. 132). Les deux frères complètent par eux-mêmes une inscription latine figurant sur la porte d’accès à l’ouvrage, en partie masquée depuis le pont par un arbuste trop touffu. Ils démontrent ainsi leur ingéniosité et leur intuition en matière d’épigraphie latine (p. 133). Ce passage illustre aussi les difficultés concrètes auxquelles peuvent se heurter les voyageurs dans l’observation des œuvres d’art.
Éloge du canal du Midi qu’ils empruntent pour se rendre de Toulouse (p. 134) à Marseillan, peu avant Montpellier (p. 146). Ils relèvent avec précision la différence de niveau que chacune des écluses permet de franchir (p. 142-146).
Bibliographie
Arciszewska 2002 : Barbara Arciszewska, The Hanoverian Court and the Triumph of Palladio : The Palladian Revival in Hanover and England c. 1700, Varsovie, Wydawnictwo DiG, 2002.
Bepler 1988 : Jill Bepler, Ferdinand Albrecht von Braunschweig-Lüneburg (1636-1687). A Traveller and his Travelogue, Wiesbaden, Harrassowitz 1988, coll. « Wolfenbütteler Arbeiten zur Barockforschung », vol. 16.
Böker 1989 : Hans Josef Böker, « Unbekannte Planzeichnungen Lambert Friedrich von Corfeys », Westfalen. Hefte für Geschichte, Kunst und Volkskunde, n° 67, 1989, p. 171-183.
Böker 1990 : Hans Josef Böker, « Eine Planung Lambert Friedrich Corfeys für Schloss Nordkirchen », Westfalen. Hefte für Geschichte, Kunst und Volkskunde, n° 68, 1990, p. 89-100.
Böker 1995 : Hans Josef Böker, « Vorläufer und Konkurrenten : Pictorius und Corfey », dans Johann Conrad Schlaun, 1695-1773. Architektur des Spätbarock in Europa, éd. par Klaus Bußmann, Florian Matzner et Ulrich Schulze, cat. exp. (Münster, Westfälisches Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte, 7 mai-6 août 1995), Stuttgart, Oktagon, 1995, p. 622-637.
Corfey 1977 : Lambert Friedrich Corfey, Reisetagebuch, 1698-1700, éd. par Helmut Lahrkamp, Münster, Aschendorff, 1977, coll. « Quellen und Forschungen zur Geschichte der Stadt Münster », nouvelle série, vol. 9.
Dethlefs 1977 : Gerd Dethlefs, « Der Brigadier Lambert Friedrich Corfey (1645-1700) », dans Lambert Friedrich Corfey, Reisetagebuch, 1698-1700, éd. par Helmut Lahrkamp, Münster, Aschendorff, 1977, coll. « Quellen und Forschungen zur Geschichte der Stadt Münster », nouvelle série, vol. 9, p. 339-355.
Dethlefs 1996 : Gerd Dethlefs, « Das Baubüro von Johann Conrad Schlaun. Zu den Zeichnungen Johann Conrad Schlauns und seiner Mitarbeiter », Westfalen. Hefte für Geschichte, Kunst und Volkskunde, n° 74, 1996 (1998), p. 1-73.
Dethlefs 2000 : Gerd Dethlefs, « Die Corfeys in Warendorf », dans Geschichte der Stadt Warendorf, éd. par Paul Leidinger, 3 vol., Warendorf, Ardey, 2000, vol. 1, p. 705-716.
Dethlefs 2002 : Gerd Dethlefs, « “weylen dieses Werck zur Splendeur der Kirchen gereichet”. Die Planungen von Corfey und Pictorius für die Kettelersche Doppelkurie am Domplatz zu Münster », dans Westfalen und Italien. Festschrift für Karl Noehles zum 80. Geburtstag, éd. par Udo Grote en collab. avec Hans-Joachim Hubrich, Petersberg, Michael Imhof, 2002, p. 153-171.
Koppetsch 2011 : « Bin kein Schriftsteller, sondern nur ein einfacher Sohn des Waldes. » Inventar der Selbstzeugnisse in den Beständen des Landesarchivs NRW Abteilung Westfalen, im Auftrag des Landesarchivs, éd. par Axel Koppetsch, Düsseldorf, Landesarchiv NRW, 2011, coll. « Veröffentlichungen des Landesarchivs Nordrhein-Westfalen », vol. 40.
Krause 1995 : Katharina Krause, « Schlaun und Frankreich », dans Johann Conrad Schlaun, 1695-1773. Architektur des Spätbarock in Europa, éd. par Klaus Bußmann, Florian Matzner et Ulrich Schulze, cat. exp. (Münster, Westfälisches Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte, 7 mai-6 août 1995), Stuttgart, Oktagon, 1995, p. 204-235.
Krause/Scheckenbach 2017 : Katharina Krause et Marie Scheckenbach, « Haus und Straßenraum. Konstruktion und Repräsentation von Sicherheit in der Stadt », Mitteilungen der Residenzen-Kommission der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen, Neue Folge Stadt und Hof, n° 6, 2017, p. 57-68.
Lahrkamp 1980 : Helmut Lahrkamp, « Corfey und Pictorius. Notizen zur Barockarchitektur Münsters, 1700-1722 », Westfalen. Hefte für Geschichte, Kunst und Volkskunde, n° 58, 1980, p. 139-152.
Lahrkamp 1987 : Helmut Lahrkamp, « Lambert Friedrich Corfey », Westfälische Lebensbilder, vol. 20, Münster, 1987, p. 78-100.
Luckhardt 1978 : Jochen Luckhardt, Die Dominikanerkirche des Lambert Friedrich Corfey zu Münster : Studien zu Geschichte, Form und Funktion einer Ordenskirche “um 1700“, thèse de doctorat, Münster (Westfalen), s. n., 1978.
Matzner 1995 : Florian Matzner, « “Natura Mensura Ars”. Architektur zwischen Idee und Ausführung », dans Johann Conrad Schlaun, 1695-1773. Architektur des Spätbarock in Europa, éd. par Klaus Bußmann, Florian Matzner et Ulrich Schulze, cat. exp. (Münster, Westfälisches Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte, 7 mai-6 août 1995), Stuttgart, Oktagon, 1995, p. 89-117.
Mummenhoff 1976 : Karl Eugen Mummenhoff, « Die Feuerwerksentwürfe von Johann Conrad Schlaun », dans Schlaun als Soldat und Ingenieur, éd. par Ulf-Dietrich Korn, cat. exp., (Münster, Stadthaus, 21 octobre-21 novembre 1973), Münster, Landschaftsverband Westfalen-Lippe, 1976 coll. « Schlaunstudie », vol. 3, p. 207-236.
Mummenhoff 1984 : Karl Eugen Mummenhoff, « Beiträge zum architektonischen Œuvre des Lambert Friedrich Corfey », Westfalen. Hefte für Geschichte, Kunst und Volkskunde, n° 62, 1984, p. 93-128.
Paulus 2011 : Simon Paulus, Deutsche Architektenreisen : zwischen Renaissance und Moderne, Petersberg, Michael Imhof, 2011.
Paulus 2014 : Simon Paulus, « “Ein- und andere Örther” Zur Reflexion des “Donauraums” als Architekturlandschaft im Reisebericht der Frühen Neuzeit », dans Barocke Kunst und Kultur im Donauraum, actes du congrès scientifique international (Passau et Linz, 9-13 avril 2013), éd. par Karl Möseneder, Michael Thimann et Adolf Hofstetter, relecture Ludger Drost, 2 vol, Petersberg, Michael Imhof, 2014, vol. 1, p. 100-112.
Rensing 1936 : Theodor Rensing, « Lambert Friedrich von Corfey », Westfalen. Hefte für Geschichte, Kunst und Volkskunde, n° 21, 1936, p. 234-245.
Smets 1998 : Josef Smets, « Quatre voyageurs allemands à Nîmes, XVIIe-XIXe siècles », Annales du Midi, t. 110, janvier-mars 1998, n° 221, p. 71-87.
Smets 2000 : Josef Smets, « La Provence dans les récits de deux voyageurs allemands, XVIIe-XIXe siècles », Provence historique, t. 50, 2000, n° 199, p. 35-55.
Ziegler 2010 : Hendrik Ziegler, Der Sonnenkönig und seine Feinde. Die Bildpropaganda Ludwigs XIV. in der Kritik, préface de Martin Warnke, Petersberg, Michael Imhof, 2010, coll. « Studien zur internationalen Architektur- und Kunstgeschichte », vol. 79.
Ziegler 2013 : Hendrik Ziegler, Louis XIV et ses ennemis. Image, propagande et contestation, préface d’Andreas Beyer et Béatrix Saule, introduction de Martin Warnke, traduction d'Aude Virey-Wallon, Paris/Saint-Denis/Versailles, Centre allemand d'histoire de l'art/Presses universitaires de Vincennes/Centre de recherche du château de Versailles, 2013.
Collaborateurs et collaboratrices
Texte d’introduction : Hendrik Ziegler, revu par Florian Dölle, Marion Müller et Gerd Dethlefs ; traduction en français : Jean-Léon Muller.
Transcription de l’édition (Corfey) : Florian Dölle et Marion Müller, se basant sur l’édition imprimée de Helmut Lahrkamp (Corfey 1977), mise en conformité avec le manuscrit et largement complétée en particulier pour ce qui est des nombreuses inscriptions latines et des notes marginales ; relecture des inscriptions en latin et grec ancien : Angelika Fricke.
Annotation de l’édition (Corfey) : Hendrik Ziegler à partir des indications de Helmut Lahrkamp et Nicole Taubes.
Rédaction des index en allemand et en français : Bastien Coulon, Florian Dölle, Angela Göbel, Anna Hartmann, Marion Müller, Alexandra Pioch et Hendrik Ziegler, revue et complétée par Jean-Léon Muller et Marie-Paule Rochelois.
Traduction en français de la transcription annotée : Nicole Taubes, revue par Hendrik Ziegler, Alexandra Pioch et Florian Dölle.
Encodage de l’édition allemande et française (Corfey) : Florian Dölle, revu par Axelle Janiak et Mathieu Duboc.
Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck
Chez Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck on retrouve le ton quelque peu ergoteur et le souci didactique dont Leonhard Christoph Sturm fait preuve dans ses Notes de voyage architecturales. Il existe de fait un lien étroit entre ce livre de Sturm, édité pour la première fois en 1719, et le récit manuscrit de Knesebeck intitulé Kurtze Beschreibung einer Tour durch Holland nach Frankreich, von Braunschweig (Brève description d’un Grand Tour par la Hollande jusqu’en France, depuis Brunswick). Il est très probable que le texte de Knesebeck soit une transcription directe des notes compilées par Sturm à la suite de ses voyages dans les Provinces-Unies, en Flandre et en France en 1696, 1699 et 1712 et utilisées pour la rédaction de son livre. Les originaux étant aujourd’hui perdus, la transcription de Knesebeck constituerait donc la plus ancienne version conservée des notes de voyage de Sturm. On ne peut que spéculer sur les circonstances qui ont présidé à la naissance de ce manuscrit. Sturm, qui depuis 1713 privilégiait ses activités d’écrivain, a probablement prié Knesebeck de mettre au propre ses notes et dessins de voyage. Il est cependant prouvé que Knesebeck a lui-même entrepris un voyage en France, entre 1711 et 1713, par ailleurs fort peu documenté. Il se pourrait donc qu’en vue de préparer ce périple, Knesebeck ait sollicité de Sturm l’autorisation de recopier ses annotations. Les nombreuses différences qui existent entre le manuscrit de Knesebeck et la version imprimée de Sturm offrent aux chercheurs une occasion unique d’analyser les processus d’écriture ayant permis la transformation d’un récit de voyage en un manuel à la fois didactique et doté de qualités littéraires. Ainsi, certaines suggestions provocatrices en termes de politique artistique qui se trouvent dans le manuscrit de Knesebeck, comme les améliorations à apporter à la galerie des Glaces de Versailles, n’ont pas été retenues pour le livre.
L’homme
Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck est issu d’une vieille famille de la noblesse établie dans la région de l’Altmark, à l’est de la Basse-Saxe. Plusieurs de ses membres ont été promus à des charges militaires, administratives ou diplomatiques importantes, principalement au service de l’électorat du Brandebourg, à l’image de Thomas von dem Knesebeck (1565-1625) et de son fils Hempo (1595-1656) (voir Bittner/Groß/Latzke 1936, p. 22 et 42). Toutefois, la place précise occupée par Christian Friedrich Gottlieb au sein de la lignée familiale n’a pas encore été clairement établie. Voici les rares données recueillies dans diverses sources écrites sur sa vie et ses lieux de résidence (pour les références précises, voir Hinterkeuser 2006, 2009 et 2020) : sa date et son lieu de naissance demeurent inconnus ; nous savons seulement qu’il est décédé en septembre 1720 à Schwerin. Sa mère, Anna Sophie von dem Knesebeck, dont nous ignorons le nom de jeune fille, est née en 1648 et a survécu au moins dix ans à son fils. Étant établi que celui-ci a servi au plus tard à partir de 1703 dans l’armée du Mecklembourg-Schwerin, sans doute avec le grade d’aspirant, on peut supposer qu’il a vu le jour vers 1685. À Schwerin, il eut pour supérieur le capitaine du génie et architecte Jakob Reutz. Celui-ci aurait dû l’initier à la science de la construction, mais il faillit en partie à sa tâche, si bien que Knesebeck entreprit de se former en autodidacte en lisant des traités spécialisés dont ceux de Leonhard Christoph Sturm, architecte et théoricien de l’architecture déjà célèbre à l’époque. La situation de Knesebeck s’améliora toutefois quand à la fin de 1706 une restructuration de la direction des bâtiments ducaux amena à la création d’une nouvelle compagnie du génie commandée par Friedrich Wilhelm von Hammerstein. Sous sa houlette, Knesebeck fut promu « conducteur » de chantier (Baukondukteur) en 1706 puis « premier conducteur » de chantier (Erster Baukondukteur) fin 1710. Outre la direction de chantiers, l’essentiel de son activité consistait à dessiner des plans et réaliser des maquettes, ce qui lui donnait accès à l’ensemble des projets en cours au sein et aussi parfois en dehors du duché. Virent s’ajouter plusieurs voyages : en 1703 au Danemark, en 1706 puis 1708 à Berlin et la même année dans les Provinces-Unies. Entre 1711 et 1713, il entreprit en outre un voyage éducatif autofinancé en France, en passant par les Provinces-Unies et la Flandre. Il trouva aussi le temps de réaliser pour son propre usage de nombreuses copies commentées de plans consultés dans le cadre de ses fonctions. Réapparues en 2005 à la faveur d’une vente, elles comptent aujourd’hui parmi les sources majeures sur l’histoire de l’architecture du Mecklembourg-Schwerin (voir ci-après la section « La source »).
Jacob Reutz décéda à l’automne 1710 et, peu de temps après, Hammerstein quitta Schwerin pour le Brabant. L’espoir nourri par Knesebeck d’accéder, du fait de ces charges vacantes, à de plus hautes fonctions dans l’administration des bâtiments ducaux fut déçu. Frédéric-Guillaume de Mecklembourg-Schwerin (règne : 1692-1713) l’avait pourtant encouragé à concevoir un contreprojet au plan d’extension du château de Neustadt-Glewe imaginé par Hammerstein. Mais au printemps 1711, le souverain préféra faire appel à Leonhard Christoph Sturm pour lui confier la direction de l’ensemble des projets architecturaux du duché. Knesebeck s’adapta aux circonstances en se plaçant sous l’autorité de son nouveau supérieur qu’il appréciait et admirait depuis ses années de formation. Sous la direction de Sturm, il participa à tous les grands chantiers du duché. Cependant, la situation financière du Mecklembourg-Schwerin se détériora considérablement quand, à la mort de Frédéric-Guillaume, son frère cadet Charles-Léopold lui succéda en 1713. En tant qu’allié de la Suède, le nouveau duc entraîna en effet son pays dans la grande guerre du Nord et des manquements au droit, liés aux excès de sa politique fiscale, conduisirent même l’empereur Charles VI à décréter en 1717 la mise au ban du duché (voir Drinkuth/Meiner/Puntigam 2018, p. 10). La plupart des projets architecturaux en cours en restèrent dès lors à l’état d’études. Au moins Knesebeck avait-il pu jusque-là s’investir dans la planification et la direction de plusieurs d’entre eux :
- Jusqu’en 1713, participation à l’achèvement de l’intérieur de la Schelfkirche ou église Saint-Nicolas de Schwerin.
- Jusqu’en 1717, direction de l’extension du château de Neustadt-Glewe.
- 1713, plans de modernisation des fortifications de Rostock.
- 1714, contribution au projet, confié à Sturm, de transformer en palais ducal trois anciens édifices de Rostock.
- 1716-1717, élaboration de plans pour la remise en état de l’église paroissiale de Boizenburg, ravagée par un incendie en 1709.
- 1718, direction de la construction des écuries de la ville de Rostock, attestée par des sources.
- Également en 1718, plans de reconstruction du pavillon de chasse de Gelbensande près de Rostock, jamais mis en œuvre.
Sa promotion après 1716 au grade de capitaine du génie a dû constituer une certaine satisfaction pour Knesebeck, avant son brusque décès survenu à Schwerin en septembre 1720.
La source
Le manuscrit intitulé Kurtze Beschreibung einer Tour durch Holland nach Frankreich, von Braunschweig (Brève description d’un Grand Tour par la Hollande jusqu’en France, depuis Brunswick) est conservé à la bibliothèque de l’université de Rostock sous la cote Mss. var. 13. Il a été numérisé par la bibliothèque de l’université de Rostock (à consulter sur RosDok). Nous ignorons à quel moment et dans quelles circonstances le document a intégré ce fonds. Les 86 feuillets de ce texte illustré de nombreux dessins ont été réunis en un volume relié au XVIIIe siècle en demi-vélin et papier de couleur. La foliotation est récente ; elle est apposée au crayon en bas au milieu du recto de chaque feuille. Seules les pages 2, 3 et 4 portent en plus une pagination d’époque placée en haut à droite et à gauche, à l’extérieur des encadrés réservés au texte et aux dessins. Les 14 planches en fin de volume sont numérotées à part au crayon en haut à droite de chaque feuille. Les feuillets mesurent en moyenne 23 x 14 cm (font exception les trois planches dépliantes, soit respectivement : pl. 82, 23 x 65 cm ; pl. 83, 32 x 28,5 cm et pl. 84, 33 x 27 cm). Le plus souvent bien lisible, ce texte à la calligraphie régulière a été rédigé à l’encre sur papier en écriture cursive allemande, les expressions étrangères étant notées en lettres latines. Il est accompagné de dessins soignés à la plume, le plus souvent rehaussés de lavis. Sur nombre d’entre eux on distingue des tracés, dessins sous-jacents ou rapides esquisses préparatoires au crayon, laissés en place au moment de l’exécution finale à l’encre (p. ex. fol. 25v, 32r ou 42v ; un détail en haut à gauche du fol. 41r semble même renvoyer à une première version finalement rejetée). À certains endroits, on trouve aussi des annotations au crayon, le plus souvent des indications en vue du tracé définitif d’un dessin (p. ex. fol. 21r, 28v, 41r ; le fol. 70v présente aussi une annotation dans le texte). La mise en page du texte est étroitement liée à celle des illustrations et seul un emplacement destiné à un dessin n’a pas été comblé (fol. 46r).
Au début du manuscrit, on ne trouve aucune page de titre faisant mention de l’auteur. Le texte commence de fait juste en-dessous de l’intitulé (fol. 2r). Bien qu’il soit rédigé à la première personne, l’auteur n’y décline jamais son identité. L’écriture a toutefois pu être identifiée avec certitude comme étant celle du capitaine du génie Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck. Cette attribution découle de la comparaison avec un autre texte signé de sa main. En 2006, le Staatliches Museum Schwerin a en effet pu faire l’acquisition d’un manuscrit en deux volumes. Le premier a pour titre Kurtze Remarquen der Oeconomischen alß auch Prächtigen Baukunst. Wie solche Von Anno 1703. in folgenden Jahren bey hiesigen Bau- und Landwesen in allen vorgefallenen Gelegenheiten observiret, und zusammen getragen biß 1710 (Brèves remarques sur l’art de bâtir économique et somptuaire, et comment il a été mis en œuvre en toute occasion dans les constructions locales, en ville comme à la campagne, de l’an 1703 à 1710). Le second s’intitule Continuation Der Kurtzen Remarquen der Oeconomischen als auch Prächtigen Baukunst. Von 1711 bis 1716 (Suite des brèves remarques sur l’art de bâtir économique et somptuaire, de 1711 à 1716), et est conservé par les Staatliche Schlösser, Gärten und Kunstsammlungen Mecklenburg-Vorpommern au Staatliches Museum Schwerin, sous la cote Ms. Knesebeck 1703-1716, I et II, B 293. Au verso de la page de titre du premier volume, Knesebeck a ajouté a posteriori un « propos liminaire » avec une courte description de sa carrière (fol. 1v.). Ce texte a été essentiel pour la reconstitution, au moins jusqu’en 1716, de la biographie du capitaine de génie telle qu’elle a été présentée plus haut. C’est l’examen graphologique comparatif avec ce nouveau manuscrit qui a permis de confirmer l’attribution à Knesebeck de la Brève description d’un Grand Tour par la Hollande jusqu’en France, depuis Brunswick proposée par la bibliothèque de l’université de Rostock. On a en outre pu attribuer à ce même auteur deux autres manuscrits conservés dans cette bibliothèque : un traité d’architecture civile intitulé Civil-Baukunst et un manuel consacré aux techniques des charpentiers titré Vollständiges und In Form einer Wissenschafft gebrachtes Zimmer-Handwerck (Artisanat complet de la charpente présenté sous la forme d’une science), avec pour cotes respectives Mss. math. phys. 32 et Mss. math. phys. 33 (voir Hinterkeuser 2020, p. 240).
Cependant, la relation de voyage éditée ici n’est pas un texte original et personnel de Knesebeck, mais plus probablement une mise au propre d’anciennes notes de Leonhard Christoph Sturm (voir le texte d’introduction à l’édition en ligne de ses Notes de voyage architecturales). Ce dernier s’était installé à Schwerin au printemps 1711, le duc Frédéric-Guillaume de Mecklembourg-Schwerin l’ayant nommé premier maître d’œuvre en novembre de l’année précédente (voir Franke 2020, p. 227 et note 9). En tant que « premier conducteur » de chantier, Christian Friedrich Knesebeck était donc subordonné à Sturm. Venu de l’université de Francfort-sur-l’Oder, ce mathématicien, architecte et théoricien de l’architecture originaire de Franconie avait, de 1697 à 1699, passé plusieurs mois dans les Provinces-Unies, les Pays-Bas espagnols et la France, un périple suivi en 1712 d’un nouveau voyage d’étude de quatre semaines dans les Provinces-Unies. Ses impressions de voyage devaient finalement paraître sous forme de livre en 1719, année de sa mort, sous le titre Christoph Sturms Durch einen grossen Theil von Teutschland und den Niederlanden biß nach Pariß gemachete Architectonische Reise-Anmerckungen [...] (Notes de voyage architecturales de Leonhard Christoph Sturm, recueillies à travers une bonne partie de l’Allemagne et des Pays-Bas, jusqu’à Paris [...]). Nombre de passages écrits mais aussi d’illustrations du livre de Sturm présentent d’étonnantes similitudes avec la Brève description d’un Grand Tour par la Hollande jusqu’en France, depuis Brunswick.
Indice révélateur, comme l’indique l’intitulé du manuscrit de Knesebeck, le début de sa relation de voyage se situe à Brunswick et non à Schwerin. Or Brunswick est proche de Wolfenbüttel, ville où Leonhard Christoph Sturm enseigna à l’académie de chevaliers, de 1694 à 1702, avant d’être nommé à l’université de Francfort-sur-l’Oder. Le texte relate d’abord le trajet à travers les Provinces-Unies, qui passe entre autres par Deventer, Het Loo, Amsterdam, La Haye et Rotterdam, jusqu’à l’entrée en France par Lille. La partie principale du récit est consacrée à Paris et à ses environs, avant la description du voyage de retour via les Pays-Bas espagnols, avec Bruxelles et Anvers comme étapes principales (sur le périple décrit dans le manuscrit de Knesebeck, voir la carte interactive). Plusieurs indications montrent que la majorité des sujets évoqués remontent à un périple entrepris peu avant le début du XVIIIe siècle :
- L’énumération par l’auteur des tableaux à sujets religieux donnés presque annuellement depuis 1630 dans le cadre des offrandes du « May de Notre-Dame » à la cathédrale parisienne par la confrérie Sainte-Anne – l’une des quatre confréries d’orfèvres de la capitale – se termine avec la mention du don de 1699 (fol. 43v-44v), bien que la tradition se soit perpétuée jusqu’en 1708.
- Lorsqu’il est fait mention des façades reconstruites autour de la Grand-Place de Bruxelles après le bombardement dévastateur de 1695, l’auteur déchiffre la date de 1702 dans le chronogramme inscrit sur l’une des façades et suppose que c’est pour cette date que l’on espère l’achèvement des nouvelles maisons. Cette interprétation situe donc son séjour à Bruxelles avant 1702 (fol. 66v).
- Enfin, les grands plans de Versailles et de Marly présentés dans le manuscrit sont tous deux datés de 1699 (fol. 83r et 84r).
Guido Hinterkeuser a été le premier à signaler l’existence et à engager l’étude de la Brève description d’un Grand Tour par la Hollande jusqu’en France, depuis Brunswick (voir Hinterkeuser 2009, p. 132, note 3). Lors de la présentation du manuscrit à l’occasion d’une journée d’étude à Versailles début janvier 2015, Florian Dölle, membre de notre équipe, a souligné le lien étroit existant entre ce texte et le livre publié par Sturm. Diverses hypothèses ont alors été formulées : Knesebeck avait-il accompagné Sturm lors de son voyage en France en 1699 et prit lui-même des notes ? Avait-il voyagé de son propre chef en France et consigné ses impressions que Sturm se serait ensuite appropriées pour les publier sous son nom ? Ces spéculations ont finalement été écartées (voir également Hinterkeuser 2020, p. 256), deux hypothèses émises entre-temps pour expliquer les liens de dépendance entre ces deux écrits s’étant révélées plausibles :
- Il est établi que Knesebeck s’est lui-même rendu en France via les
Provinces-Unies et la Flandre. Hinterkeuser a pu déduire ce fait de
trois requêtes écrites, en lien avec ce voyage, adressées par
Knesebeck à son souverain le duc Frédéric-Guillaume de
Mecklembourg-Schwerin. Ces lettres aujourd’hui conservées aux
Landeshauptarchiv (Archives centrale du Land) à Schwerin ne sont
malheureusement pas datées mais ont probablement été écrites entre
l’arrivée de Sturm au printemps 1711 et la mort du duc fin juillet
1713 (voir Hinterkeuser 2020, p. 254, note 110 renvoyant aussi à la
note 10). Hinterkeuser a émis la thèse selon laquelle Knesebeck
aurait, en vue de son propre voyage en France, demandé à son
supérieur Leonhard Christoph Sturm ses notes inédites pour les
copier et se familiariser ainsi avec les bâtiments et les œuvres
d’art qu’il aurait à observer (voir Hinterkeuser 2020, p. 256). La
copie de livres ou de manuscrits était un mode d’apprentissage
courant à l’époque.
Il est vrai que la guerre de la Succession d’Espagne, commencée en 1701, faisait encore rage : jusqu’en 1712 à la frontière nord de la France et jusqu’à l’été 1713 en Alsace et dans les territoires du sud-ouest de l’Allemagne. C’est seulement en novembre 1713 que débutèrent à Rastatt les négociations entre la France et l’empereur, accompagné de ses derniers alliés encore en guerre. Dans ces circonstances défavorables, le voyage de Knesebeck ne pouvait avoir été bien long et avait dû se dérouler pendant les mois d’hiver 1711-1712 ou 1712-1713, les armées ayant pris leurs quartiers d’hiver. Reste à savoir comment un ingénieur militaire, architecte et dessinateur étranger avait pu entrer en France et y être toléré en ces temps de guerre. Il apparaît aussi étonnant que si Knesebeck a décrit en détail ses voyages antérieurs (au Danemark en 1703, à Berlin en 1706 et 1708, dans les Provinces-Unies, toujours en 1708) dans le premier volume de ses Brèves remarques sur l’art de bâtir économique et somptuaire [...], il ne dit mot sur son voyage en France dans le second tome du même ouvrage, pourtant intitulé Suite des brèves remarques sur l’art de bâtir économique et somptuaire, de 1711 à 1716 (voir Hinterkeuser 2020, p. 242). Il est aussi peu probable que Knesebeck ait emporté son manuscrit pour l’utiliser comme guide au cours de son périple, car le document ne présente presqu’aucune marque d’usure. Qui plus est, il n’aurait pas manqué d’y apporter corrections et remarques puisque le texte rendait compte d’un état déjà ancien des bâtiments visités et de leurs décors. - Leonhard Christoph Sturm a aussi pu – c’est l’hypothèse de Florian Dölle et de l’auteur de ces lignes – charger son collaborateur Knesebeck, doté d’un esprit critique semblable au sien et d’un vrai talent de dessinateur, de mettre au propre ses anciennes notes de voyage. Ce faisant, il lui aurait aussi demandé de les enrichir ça et là des observations faites au cours de ses autres périples dans les Provinces-Unies et surtout d’intégrer aux passages correspondants du texte les différents dessins réalisés lors de ces mêmes voyages. Après la mort du duc Frédéric-Guillaume de Mecklembourg-Schwerin fin juillet 1713, son frère cadet Charles-Léopold lui succéda. Allié de la Suède, celui-ci impliqua toujours plus son duché dans la grande guerre du Nord, paralysant ainsi toute activité de construction. Dans ce contexte, Sturm se consacra davantage à ses activités d’essayiste. Conclu début septembre 1714, le traité de Baden mit fin à la guerre de la Succession d’Espagne, si bien qu’on pouvait s’attendre à un nombre croissant de voyages vers l’ouest, en direction du royaume de France. La publication d’un manuel didactique sur l’architecture en Flandre, dans les Provinces-Unies et surtout en France devenait dès lors une entreprise lucrative. Il semble plausible que, dans ce but, Sturm ait d’abord confié à Knesebeck ses textes et ses dessins, à charge pour lui de les compiler dans sa Brève description d’un Grand Tour par la Hollande jusqu’en France, depuis Brunswick. Comme nous l’avons vu, ce travail offrait aussi l’occasion d’ajouter les informations et observations recueillies par Sturm en 1697 et 1712 à l’occasion de ses deux autres voyages dans les Provinces-Unies, notamment sur des systèmes de levage et sur différents moulins (fol. 9r et v). Selon toute vraisemblance, Sturm a travaillé cette première rédaction que représentait le manuscrit. Il l’a d’une part divisée en « leçons » en leur donnant la forme littéraire de missives adressées à un précepteur en voyage, et y a d’autre part ajouté des paraphrases et citations tirées de la Description nouvelle de la ville de Paris de Germain Brice, le plus souvent en observant une distance critique à l’égard des jugements du Français (voir le texte introductif consacré à Sturm dans la présente édition). Au fil de cette réécriture, Sturm opéra aussi une sélection, si bien que certains passages et dessins du manuscrit de Knesebeck ne se retrouvent pas dans son manuel. Des dessins réalisés séparément furent en revanche ajoutés ainsi que des observations sur certaines œuvres d’art et des précisions sur les circonstances du voyage. Sturm corrigea aussi l’orthographe fautive de nombreux noms d’artistes et d’œuvres. Enfin, quand Jeremias Wolff, éditeur de Sturm à Augsbourg, se mit à l’impression, il opta pour la séparation entre les images et le texte. Les illustrations étaient désormais placées, soit avant, soit après le texte, si bien que la relation étroite recherchée, telle qu’elle apparaît dans le manuscrit, fut abandonnée. En plus des illustrations du manuscrit de Knesebeck, on a identifié d’autres dessins, au nombre de 50, ayant servi de modèles aux gravures sur cuivre publiées dans les Notes de voyage architecturales. Collés sur des feuillets, ces dessins sont conservés dans un volume où ont été réunis des folios de diverses origines. Ce volume est le deuxième d’un ensemble de trois conservé à la bibliothèque du Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg sous la cote 2° Hs. 94142 (voir Isphording 2014, n° 357, p. 218-219). Les dessins en question se trouvent précisément dans le volume 2 (partie f), p. 78-127. La nature des relations entre ces dessins préparatoires, ceux du manuscrit de Knesebeck et les gravures sur cuivre publiées dans le manuel de Sturm est une question complexe à laquelle on ne saurait apporter ici de réponse définitive. Pour certaines gravures des Notes de voyage architecturales, les modèle se trouvent exclusivement dans le manuscrit de Knesebeck (c’est notamment le cas pour la vue du maître-autel de l’église du Val-de-Grâce). On a aussi pu constater que la transposition sur plaque de cuivre de certains dessins s’opérait avec une inversion en miroir, mais le phénomène n’est pas fréquent et il n’a pas été possible d’identifier un seul et unique mode opératoire.
Les deux hypothèses sur la confection du manuscrit de Knesebeck d’après les notes de voyage de Sturm ne s’excluent pas mutuellement. La transcription a pu avoir lieu pour préparer un bref voyage d’étude de Knesebeck et (peut-être de façon concomitante) la publication projetée par Sturm. Le texte du manuscrit de Knesebeck s’achève par ces mots (fol. 72v) : « Ainsi se terminent les présentes remarques ; je ne souhaite pas qu’elles soient diffusées et moins encore publiées, car je ne les ai réunies que pour mes notes privées et pour me servir d’aide-mémoire personnel. » Cependant, au regard de la publication ultérieure du livre, cette déclaration d’intention apparaît pour ce qu’elle est : une simple formule pour exprimer la modestie de rigueur à l’époque baroque.
État de la recherche
L’ancien bilan de la recherche, encore modeste, sur l’architecte, directeur de chantier et ingénieur militaire du Mecklembourg, Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck, est rapidement évoqué dans un des volumes de la somme de Hermann Heckmann sur les maîtres bâtisseurs allemands de l’époque baroque et rococo (voir Heckmann 2000, p. 13). Toutefois, ces dernières années, les études sur Knesebeck ont été encouragées par diverses circonstances, et sa biographie s’est progressivement étoffée :
- Comme nous l’avons vu, le Staatliches Museum de Schwerin a pu acquérir en 2006 un manuscrit de Knesebeck en deux volumes, apparu sur le marché l’année précédente et dans lequel l’architecte, finalement promu capitaine du génie, évoque l’ensemble des projets de construction du duché de Mecklembourg-Schwerin. Il est intitulé Brèves remarques sur l’art de bâtir économique et somptuaire [...] pour le premier tome et Suite des brèves remarques [...] pour le second (cote : SSGK, SMS, Ms. Knesebeck 1703-1716, I et II, B 293). L’historien de l’art berlinois Guido Hinterkeuser, qui a procédé à l’expertise de ce nouveau manuscrit, l’achat par la bibliothèque de Schwerin s’étant fait par son entremise, a ensuite souligné plusieurs fois l’importance de cet écrit et a recueilli de nouvelles informations sur la vie et l’œuvre graphique de Knesebeck (voir Hinterkeuser 2006, 2008, 2009 et 2011).
- Ces dernières années, la bibliothèque de l’université de Rostock a numérisé les trois manuscrits de la main de Knesebeck en sa possession. Le projet de recherche ARCHITRAVE a bénéficié de la généreuse mise à disposition du fac-similé numérisé de la Brève description d’un Grand Tour par la Hollande jusqu’en France, depuis Brunswick. Cette copie numérique en haute résolution a facilité la transcription scrupuleuse du texte, dont Guido Hinterkeuser a bien voulu se charger. Il a été le premier en 2009 à se référer à la relation de voyage de Knesebeck conservée à Rostock (voir Hinterkeuser 2009, p. 132, note 3). Florian Dölle a finalement découvert qu’il existait de nombreuses similitudes entre les Notes de voyage architecturales de Leonhard Christoph Sturm publiées en 1719 et le manuscrit de Knesebeck. Après l’examen détaillé du contenu des deux écrits mené ces dernières années, il est devenu clair aux yeux de l’ensemble des chercheurs concernés que le manuscrit de Rostock devait, selon toute vraisemblance, être la transcription d’un texte dont le style et l’argumentation correspondaient à un récit de voyage écrit par Sturm et qui représentait une étape préliminaire au livre que celui-ci publia ultérieurement.
- En 2011, dans la bibliothèque du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, on a découvert 600 plans d’architecture du XVIIIe siècle provenant de l’ancien cabinet des plans ducaux. Baptisé « Mecklenburgischer Planschatz » (Trésor des plans du Mecklembourg), ce fonds a fait l’objet d’un projet global de conservation et d’analyse. L’étude scientifique a abouti en 2018 à une exposition, précédée en 2015 d’un colloque dont les résultats ont été publiés en 2020 (voir Drinkuth/Meiner/Puntigam 2018 et Puntigam 2020). Même si le fonds ne comprend aucun dessin directement attribuable à Knesebeck, Guido Hinterkeuser a pu présenter dans les actes du colloque l’état des connaissances sur ce directeur de travaux et capitaine du génie au service du duché de Mecklembourg-Schwerin (voir Hinterkeuser 2020). À la même occasion, Matthias Franke a publié le résultat de ses récentes recherches sur l’œuvre de Leonhard Christoph Sturm en tant que maître d’œuvre en chef du Mecklembourg, de 1711 à 1719 (voir Franke 2020).
Deux architectes très proches par leurs jugements sur l’architecture et par leur manière de concevoir des plans ont pendant huit ans travaillé ensemble à Schwerin. Les écrits et transcriptions de Knesebeck constituent non seulement une source essentielle à la meilleure compréhension des idées architecturales de Sturm, ils ont aussi et surtout la valeur intrinsèque d’un témoignage sur l’apprentissage et la formation selon le principe dit de l’æmulatio. Ce modèle d’éducation artistique vise l’appropriation créatrice et le perfectionnement permanent d’idées et de concepts, qu’il convient d’évaluer, d’accepter, de rejeter ou d’améliorer. C’est dans cette optique qu’il faut considérer et analyser le manuscrit de Knesebeck, certes comme une étape préliminaire à un futur manuel imprimé, mais aussi comme un exemple singulier de transcription et de mise en pratique de l’enseignement de Sturm dans le cadre de la formation continue d’un architecte, vers 1700.
L’essentiel en un clic
Description des trois appartements princiers du Palais-Royal, résidence parisienne de Monsieur, frère du roi, et de sa famille. Dans l’appartement de Monsieur, les cheminées à la nouvelle « mode française » avec leur grands miroirs-trumeaux au-dessus de l’encadrement en marbre sont jugées dignes d’attention (fol. 24r). Ce passage ne sera pas retenu dans le livre publié par Sturm.
Représentation en pleine page de la façade sur rue de l’hôtel particulier d’Henri Pussort, rue Saint-Honoré, à Paris (fol. 26r). Le texte d’accompagnement précise que ce dessin vient en complément des estampes déjà disponibles (fol. 25v). Jean Marot avait en effet déjà représenté en gravure la façade sur jardin de l’édifice (voir Deutsch 2015, p. 167-171 et ill. 27, p. 166). On a donc volontairement dessiné ce qui n’était pas disponible sur le marché de l’estampe. Ce choix suggère que le manuscrit a été conçu dans la perspective d’une transformation ultérieure en livre à valeur commerciale.
Le texte de présentation du couvent des Célestins explique comment l’auteur a fait de nécessité vertu. Ne pouvant, faute de temps, dessiner l’ensemble des monuments funéraires de la chapelle d’Orléans, il a finalement opté pour un grand plan de situation accompagné d’une description, faite de mémoire, des monuments (fol. 49r et 49v). Dans le même temps, il expose le principe de l’æmulatio qui restera déterminant jusqu’à la fin du néo-classicisme : se garder de la copie servile et viser l’appropriation créatrice et la transformation des choses vues afin d’exercer son inventivité à leur contact. Ce passage n’a pas été retenu dans le livre de Sturm.
Au Grand Trianon, château d’agrément sur un seul niveau édifié en 1687-1688 à Versailles, en lieu et place du Trianon de Porcelaine à proximité du château principal, l’auteur loue le portique qui relie les ailes nord et sud (fol. 56r). Sturm introduit aussi ce jugement positif dans son livre (voir Sturm, p. 118) et le fait peut-être pour mettre en lumière le contexte politique, Louis XIV ayant imposé contre la volonté de son architecte Jules Hardouin-Mansart ce « péristyle » ouvert des deux côtés comme voie de communication (voir Gady 2010, p. 286-288).
Dans le passage sur le château de Versailles se trouve une proposition détaillée pour l’amélioration de la galerie des Glaces (fol. 53r et 53v), assortie d’un grand dessin dépliant exécuté avec soin (fol. 81). La proposition ne sera pas incluse dans le livre de Sturm. Deux points de l’argumentaire méritent d’être soulignés. Le texte remarque à juste titre que, selon la tradition architecturale française, une telle galerie ne devrait pas être placée au centre du corps de logis, mais dans l’une des ailes, pour des raisons fonctionnelles, mais aussi pour permettre l’ouverture de fenêtres des deux côtés. Cependant, cette objection méconnaît le fait que l’architecte Jules Hardouin-Mansart a été contraint de construire la galerie à l’emplacement d’une ancienne terrasse. L’idée ingénieuse du Français consistant à compenser l’absence d’éclairage bilatéral en plaçant en regard des fenêtres des miroirs de même taille n’est guère appréciée et il est suggéré de remplacer ces miroirs par d’autres fenêtres donnant sur des cours intérieures.
Bibliographie
Bittner/Groß/Latzke 1936 : Repertorium der diplomatischen Vertreter aller Länder seit dem Westfälischen Frieden (1648), éd. par Ludwig Bittner et Lothar Groß, avec la participation de Walther Latzke, vol. 1 : 1648-1715, Zurich, Fretz & Wasmuth, 1936.
Drinkuth/Meiner/Puntigam 2018 : Schatz entdeckt ! Der verschollene Planschatz der Mecklenburger Herzöge, éd. par Friederike Drinkuth, Jörg Meiner et Sigrid Puntigam, cat. exp. (Staatliche Schlösser, Gärten und Kunstsammlungen Mecklenburg-Vorpommern, Staatliches Museum Schwerin, 2018), Dresde, Sandstein, 2018.
Franke 2020 : Matthias Franke, « Leonhard Christoph Sturm als mecklenburgischer Baudirektor von 1711 bis 1719 », dans Der Mecklenburgische Planschatz. Architekturzeichnungen des 18. Jahrhunderts aus der ehemaligen Sammlung der Herzöge von Mecklenburg-Schwerin, catalogue éd. au nom des Staatlichen Schlösser, Gärten und Kunstsammlungen Mecklenburg-Vorpommern et de la Landesbibliothek Mecklenburg-Vorpommern Günther Uecker par Sigrid Puntigam, volume de contributions, Dresde, Sandstein, 2020, p. 227-237.
Gady 2010 : Jules Hardouin-Mansart, sous la dir. d’Alexandre Gady, préface d’Andreas Beyer, photographies de Georges Fessy, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l'homme, 2010.
Heckmann 2000 : Hermann Heckmann, Baumeister des Barock und Rokoko in Mecklenburg, Schleswig-Holstein, Lübeck, Hamburg, Berlin, Verlag Bauwesen, 2000.
Hinterkeuser 2006 : Guido Hinterkeuser, « Berlin 1706 und 1708 : die Stadt, ihr Schloss und der Münzturm in Beschreibungen und Zeichnungen des mecklenburgischen Architekten Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck », dans Stadtpläne von Berlin, éd. par Andreas Matschenz, Berlin, Mann, 2006, coll. « Schriftenreihe des Landesarchivs Berlin », vol. 10, p. 71-90.
Hinterkeuser 2008 : Guido Hinterkeuser, « Schloss Neustadt-Glewe », dans Geschichte der bildenden Kunst in Deutschland, vol. 5 : Barock und Rokoko, éd. par Frank Büttner, Meinrad von Engelberg, Stephan Hoppe et Eckhard Hollmann, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2008, p. 437-438, cat. n° 234.
Hinterkeuser 2009 : Guido Hinterkeuser, « Schlüter, Sturm und andere. Der Architekt als Idol, Lehrer, Vorgesetzter und Konkurrent in Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebecks Manuskript “Kurze Remarquen der Oeconomischen alß auch Prächtigen Baukunst” (1703-1716) », dans Architekt und/versus Baumeister. Die Frage nach dem Metier, Siebter Internationaler Barocksommerkurs, Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, Einsiedeln, 2006, éd. par Tiziana De Filipo, Werner Oechslin et Philip Tscholl, Zurich, gta, 2009, p. 132-141.
Hinterkeuser 2011 : Guido Hinterkeuser, « Andreas Schlüter und das Ideal des barocken Lustgebäudes. Bauten und Entwürfe für Berlin, Freienwalde, Schwerin und Peterhof », Zeitschrift des Deutschen Vereins für Kunstwissenschaft, n° 64, 2010 (2011), p. 243-276.
Hinterkeuser 2020 : Guido Hinterkeuser, « Der Architekt Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck. Die Barockarchitektur im Herzogtum Mecklenburg-Schwerin im frühen 18. Jahrhundert », dans Der Mecklenburgische Planschatz. Architekturzeichnungen des 18. Jahrhunderts aus der ehemaligen Sammlung der Herzöge von Mecklenburg-Schwerin, catalogue éd. au nom des Staatlichen Schlösser, Gärten und Kunstsammlungen Mecklenburg-Vorpommern et de la Landesbibliothek Mecklenburg-Vorpommern Günther Uecker par Sigrid Puntigam, volume de contributions, Dresde, Sandstein, 2020, p. 239-257.
Puntigam 2020 : Der Mecklenburgische Planschatz. Architekturzeichnungen des 18. Jahrhunderts aus der ehemaligen Sammlung der Herzöge von Mecklenburg-Schwerin, Sigrid Puntigam, catalogue éd. au nom des Staatlichen Schlösser, Gärten und Kunstsammlungen Mecklenburg-Vorpommern et de la Landesbibliothek Mecklenburg-Vorpommern Günther Uecker, volume de contributions, Dresde, Sandstein, 2020.
Collaborateurs et collaboratrices
Texte d’introduction : Hendrik Ziegler, revu par Guido Hinterkeuser, Florian Dölle et Marion Müller ; traduction en français : Jean-Léon Muller.
Transcription de l’édition (Knesebeck) : Guido Hinterkeuser, revue par Marion Müller et Stefanie Funck.
Annotation de l’édition (Knesebeck) : Marion Müller, Hendrik Ziegler et Isabelle Kalinowski.
Rédaction des index en allemand et en français : Bastien Coulon, Florian Dölle, Angela Göbel, Anna Hartmann, Marion Müller, Alexandra Pioch et Hendrik Ziegler, revue et complétée par Jean-Léon Muller et Marie-Paule Rochelois.
Traduction en français de la transcription annotée : Isabelle Kalinowski, revue par Marion Müller, Alexandra Pioch, Hendrik Ziegler et Marie-Paule Rochelois.
Encodage de l’édition allemande et française (Knesebeck) : Marion Müller, revu par Chloé Menut, Axelle Janiak et Mathieu Duboc.
Leonhard Christoph Sturm
L’ouvrage de Leonhard Christoph Sturm revêt une valeur particulière en raison de la position critique manifeste qui s’y exprime à l’égard de l’architecture et de l’art français. La concurrence entre la France et les pays germaniques, qui s’intensifie à l’époque baroque, non seulement sur le plan politique mais aussi culturel, y apparaît en pleine lumière, comme vue à travers une loupe. Bien qu’admiré, le modèle français y est soumis à un examen systématique et y est même « corrigé » à plusieurs reprises. Théoricien allemand de l’architecture et piétiste rigoureux, Sturm porte des jugements parfois sans appel sur certaines constructions, selon lui médiocres. Il fustige tout manquement aux principes mathématiques et aux lois des proportions en architecture, d’autant plus fondamentaux à ses yeux qu’ils tiennent leur caractère immuable de la révélation biblique. Ses Architectonischen Reise-Anmerckungen (Notes de voyage architecturales) apparaissent ainsi comme un manuel didactique à portée culturelle et politique destiné aux futurs architectes des pays germanophones. On ne saurait les interpréter comme un simple inventaire de l’architecture française vers 1700, même si le livre repose bien sur des impressions de voyage. L’ouvrage de Sturm semble par ailleurs s’appuyer sur le journal de voyage de Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck (voir la présentation de cette source).
L’homme
Leonhard Christoph Sturm vit le jour le 5 novembre 1669 à Altdorf bei Nürnberg, ville comme son nom l’indique proche de Nuremberg, où son père, ancien pasteur, enseignait les mathématiques à l’université. Il décéda peu avant ses cinquante ans à Blankenburg, dans le massif du Harz, le 6 juin 1719. Sturm compta parmi les théoriciens de l’architecture civile et militaire les plus prolifiques de son temps. Converti au piétisme, il signa également de nombreux écrits théologiques. Plus de 130 ouvrages ont ainsi été publiés sous son nom (un premier inventaire a été établi par Zedler 1744 et Humbert 1747 ; voir aussi Schädlich 1990, p. 138-139). Quant à sa pratique concrète de l’architecture, elle resta relativement limitée (sur l’homme et ses activités, voir : Gurlitt 1922 ; Küster 1942 ; Schädlich 1957 ; Schädlich 1990, Lorenz 1992 ; Lorenz 1995 ; Heckmann 2000, p. 31-49 ; Evers/Thoenes 2003, p. 550-559 ; Goudeau 2005, p. 441-460).
Après des études secondaires à l’école de l’abbaye de Heilsbronn, il suivit un enseignement de philosophie dans sa ville natale de 1683 à 1688. L’année suivante, il devint assistant à l’université d’Iéna, mais préféra bientôt poursuivre ses études. À Leipzig, il se consacra de 1690 à 1694 à la théologie, mais aussi aux mathématiques, s’interrompant pour quelques voyages en Allemagne, avant d’accepter en 1694 un poste de professeur de mathématiques à l’académie de chevaliers de Wolfenbüttel, l’une des villes de résidence des ducs de Brunswick-Wolfenbüttel. Les années qui précédèrent cette nomination furent déterminantes pour ses réflexions et ses réalisations et ce pour trois raisons :
-
À Leipzig, Sturm se rapprocha des disciples du piétisme, dont il avait déjà entendu les principes à Altdorf de la bouche de Georg Paul Rötenbeck, un collègue et ami de son père (voir Wotschke 1931, p. 106). D’abord porté par les écrits de Philipp Jakob Spener, ce mouvement réformateur au sein de l’Église luthérienne avait gagné en influence depuis le milieu des années 1670 et, grâce à l’action d’August Hermann Francke, avait établi l’un de ses bastions à Halle, en Allemagne centrale. Sturm visita la ville en 1694, pour l’inauguration de la Friedrichs-Universität, mais ne prit personnellement contact avec Francke qu’à partir de 1701 (voir Wotschke 1931, p. 107). Un des principaux objectifs du piétisme était de promouvoir l’altruisme des croyants, censés faire un usage plus conforme à la volonté divine, autrement dit plus économe et efficace, des moyens matériels à leur disposition. Ses futurs écrits, empreints de rigueur morale, prescrivant une architecture fonctionnelle, sans ornements superflus et accessible aux couches sociales plus modestes, trouvent leur source dans sa proximité spirituelle avec ce mouvement (voir Bernet 2006a ; Bernet 2006b ; Franke 2009).
-
Toujours à Leipzig, Sturm fit la connaissance du conseiller municipal Georg Bose. Ce dernier possédait un important traité manuscrit sur L’art de l’architecture civile écrit par Nikolaus Goldmann (1611-1665), un professeur de mathématiques de Leyde, qui avait autrefois eu le père de Sturm pour élève (voir Semrau 1916, p. 350 ; Schädlich 1990, p. 92 et 111-112). Bose mit le manuscrit de Goldmann à la disposition du jeune Sturm, à charge pour lui de le publier. Faisant sien ce souhait, Sturm en assura la première édition en 1696 sous le titre Vollständige Anweisung zu der Civil Bau-Kunst (Directive complète sur l’art de l’architecture civile), en l’assortissant d’un commentaire détaillé.
On trouve chez Goldmann l’idée dont Sturm allait faire son credo : celle d’une architecture fondée sur les lois mathématiques et les règles immuables des proportions remontant aux Saintes Écritures et à la reconstruction du temple de Salomon, telle qu’elle apparaît dans la vision du nouveau temple de Jérusalem rapportée par le prophète Ézéchiel (AT Ez, 40,1-44,3). Des tentatives similaires de reconstitution des lois divines des proportions avaient déjà eu lieu par le passé, la plus célèbre étant sans doute celle du jésuite espagnol du XVIe siècle Juan Bautista Villalpando. Elle était désormais concurrencée par celle de Goldmann et de Sturm (voir Freigang 2004, p. 136). Tous deux considéraient en outre les ordres décrits par Vitruve, référence indépassable de l’Antiquité, comme les éléments structuraux et ornementaux les plus essentiels, les dimensions de chaque bâtiment dérivant justement de leurs proportions. Le module correspondant à la moitié du diamètre d’une colonne prise à sa base devint ainsi l’unité de mesure de l’ensemble des plans de Sturm. Ce choix conduisit à des projets quelque peu austères et stéréotypés, à la symétrie marquée (voir Lorenz 1992, p. 86), même si, comme l’a montré Schädlich, les axes de percement des fenêtres et des portes allaient conserver un rôle décisif dans la disposition générale des bâtiments conçus par Sturm (voir Schädlich 1957, 2nde partie, p. 228-229). -
Par la suite, sa production d’essayiste consista pour une large part en une exégèse du traité de Goldmann. Après plusieurs éditions revues et augmentées de la Directive complète sur l’art de l’architecture civile, dont la parution se prolongea jusqu’en 1708, Sturm prit une nouvelle initiative en inaugurant en 1714 une succession de commentaires intitulés Prodromus Architecturæ Goldmannianæ (Prodrome de l’architecture selon Goldmann). Cette série, bien qu’encore inachevée à sa mort en 1719, vit son total passer à seize analyses publiées séparément. Parmi elles se trouvaient les Notes de voyage architecturales, qui en constituaient la « VIe partie ». En 1721 à Augsbourg, l’éditeur de Sturm Jeremias Wolff publia à titre posthume un volume réunissant toutes ses études sur les écrits de Goldmann intitulé Der [...] verneuerte Goldmann, Le Goldmann [...] révisé (voir Semrau 1916, p. 350 ; Lorenz 1992, p. 87-88). Ce volume fut réimprimé en 1765.
-
Les études de Leonhard Christoph Sturm à Leipzig l’ont façonné dans son appréciation, faite d’admiration et de rejet, des cultures et des arts étrangers, en particulier français. Il suivit l’enseignement du juriste et philosophe Christian Thomasius, dans un premier temps à Leipzig puis à Halle, ce dernier s’y étant établi à partir du printemps 1690 (voir Wotschke 1931, p. 106 ; Ellwardt 2013, p. 652). En 1687, Thomasius avait suscité l’enthousiasme avec sa conférence donnée en allemand et non plus en latin, intitulée Discours, Welche Gestalt man denen Frantzosen in gemeinem Leben und Wandel nachahmen soll? (Discours pour savoir quelle forme il convient d’emprunter aux Français dans la vie et la conduite quotidienne, voir Thomasius 1994). Cette présentation brillante et non dénuée d’humour des stéréotypes nationaux comme autant de simplifications et de raccourcis indéfendables – en particulier celui selon lequel la nation française serait seule capable de produire de « beaux esprits » – n’a pas dû laisser notre architecte indifférent (voir Florack 2007). Sans avoir l’habileté intellectuelle et le discernement de Thomasius, Sturm n’a en effet cessé de mesurer l’architecture allemande à l’aulne de la française afin de démontrer la primauté de la première dans l’évolution de l’art de bâtir en Europe depuis l’Antiquité (voir Freigang 2004, p. 135).
De 1694 à 1702, Leonhard Christoph Sturm officia comme professeur de mathématiques et de théorie architecturale à l’académie de chevaliers Rudolph-Antoniana de Wolfenbüttel. Fondée en 1687, cette académie réservée aux jeunes hommes bien nés était la plus prisée du Saint-Empire (voir Bender 2011, p. 221-222). Johann Balthasar Lauterbach, prédécesseur de Sturm à ce poste, avait en outre occupé celui de premier architecte du duché de Brunswick-Wolfenbüttel. Sturm espérait également succéder dans cette fonction à Lauterbach, qu’il appréciait, mais son espoir fut déçu. La charge des bâtiments princiers revint entièrement au maître d’œuvre Hermann Korb, qui devait superviser la réalisation du palais de Salzdahlum d’après des plans de Lauterbach. Il s’ensuivit une relation tendue entre Korb et Sturm, qui lui contestait toute connaissance solide en théorie de l’architecture (voir Rust 2007, p. 516 ; Paulus 2013, p. 154-155).
C’est au cours de sa période d’activité à Wolfenbüttel que Leonhard Christoph Sturm entreprit ses deux premiers périples à l’étranger : en 1697, avec l’accord de son employeur le duc Antoine-Ulrich de Brunswick-Wolfenbüttel, il se rendit six semaines dans les Provinces-Unies et, en 1699, il effectua un séjour éducatif de dix semaines à Paris, le souverain lui accordant cinq semaines supplémentaires pour les trajets aller et retour, passant par les Provinces-Unies et la Flandre (voir Küster 1942, p. 13 ; Schädlich 1990, p. 138 ; voir également Zedler 1744, col. 1424 ; Humbert 1747, p. 62). Sturm avait délibérément écarté l’Italie et opté pour la France quand Antoine-Ulrich lui avait proposé de choisir entre ces deux destinations (voir Küster 1942, p. 13 ; Lorenz 1995, p. 120). Pour ses propres voyages, le souverain privilégiait en revanche l’Italie et jugeait les arts italien et hollandais supérieurs à l’art français (voir Dölle 2014, p. 94). Sturm allait réunir ses impressions – y compris celles d’un second périple dans les Provinces-Unies en 1712 (voir plus bas) – dans ses Notes de voyage publiées en 1719. Au cours de cette même période à Wolfenbüttel fut réalisée la première œuvre qu’on peut de façon certaine rattacher à un projet de sa main : le maître-autel de l’église paroissiale Saint-Benoît de Quedlinbourg, consacré en 1700 (voir Schädlich 1990, p. 94). C’est toujours à Wolfenbüttel que naquit son fils Georg Christoph Sturm (1698-1763), futur premier architecte de la cour ducale à Brunswick (voir Osterhausen 1978).
En 1702, Sturm fut nommé à un poste de professeur de mathématiques à l’université de Francfort-sur-l’Oder, et entra ainsi au service du Brandebourg et de la Prusse. Toutefois, ses espoirs d’obtenir une charge à la cour de Berlin allaient rester lettre morte. Sturm fut nommé en 1704 membre de la Kurfürstlich-Brandenburgischen Sozietät der Wissenschaften (Société des sciences de l’électorat du Brandebourg, voir Zedler 1744, col. 1424 ; Schädlich 1990, p. 138). En 1706, à l’occasion du bicentenaire de l’Alma Mater Viadrina, l’université de Francfort-sur-l’Oder, il fournit les plans de deux arcs de triomphe éphémères pour l’entrée solennelle du roi de Prusse. Ils étaient ornés de colonnes d’un « ordre prussien » de son invention – une version modifiée du sixième ordre architectural « allemand » qu’il avait imaginé quelques années auparavant (voir Zubek 1971 ; Schädlich 1990, p. 98 ; Polleroß 1995, p. 65-66 ; Freigang 2004, p. 133 ; Rust 2007, p. 523-526). La même année, Sturm l’emporta même sur le maître d’œuvre du château royal de Berlin Andreas Schlüter. Nommé au sein d’une commission de contrôle par le roi Frédéric Ier, il mit en effet en évidence la faiblesse des fondations prévues par Schlüter pour la Münzturm, un château d’eau proche du palais royal qui, de fait, ne tarda pas à s’effondrer (voir Humbert 1747, p. 68-70 ; Schädlich 1990, p. 103-104 ; Lorenz 1992, p. 91-95 ; Hinterkeuser 2003, p. 231-256). En 1711, Sturm se convertit au calvinisme, en raison d’une prise de distance temporaire avec l’orthodoxie luthérienne, mais surtout par opportunisme, pour se rapprocher de la cour de Berlin, elle aussi calviniste. Toutefois, et bien qu’il appréciât l’érudition de Sturm, Frédéric Ier ne voulut pas de ce professeur controversé à Berlin (voir Franke 2009, p. 142-143).
La même année, Sturm accepta l’invitation du duc Frédéric-Guillaume de Mecklembourg-Schwerin (règne : 1692-1713) et déménagea à Schwerin pour y occuper la fonction de maître d’œuvre en chef (voir Heckmann 2000, p. 31-49 ; Franke 2020). Il y fut notamment chargé jusqu’en 1713 de l’achèvement de la Schelfkirche, commencée en 1708 par le capitaine du génie de Schwerin Jakob Reutz († 13 octobre 1710) mais dont seul le gros œuvre avait été mené à bien (voir Küster 1942, p. 150 et 155 ; Schädlich 1990, p. 109-111). Un autre projet de la maison ducale, laissé à l’abandon depuis 1629, dut aussi l’essentiel de sa construction à Sturm, de 1711 à 1717 : le château de Neustadt-Glewe, comprenant un corps central et deux ailes en retour (voir Schädlich 1990, p. 111 ; Lorenz 1995, p. 131-135 ; Hinterkeuser 2008 ; Hinterkeuser 2009, p. 139-140 ; Drinkuth/Meiner/Puntigam 2018, p. 66-67). Après sa nomination comme conseiller de la Chambre ducale en avril 1712, Sturm entreprit un second voyage dans les Provinces-Unies en compagnie de son fils Georg Christoph, pour y étudier avant tout les moulins à eau, les barrages et les digues (voir Küster 1942, p. 33 et 39 ; Dunk 2016, p. 192). Après la mort du duc en 1713, Sturm se retrouva dans une situation difficile. Après de longues négociations, le nouveau duc Charles-Léopold de Mecklembourg-Schwerin, frère cadet de Frédéric-Guillaume, finit toutefois par le confirmer dans sa charge de maître d’œuvre en chef et de conseiller de la Chambre. Sturm fournit alors des plans pour la reconstruction des fortifications de la ville de Rostock ainsi que ceux d’une vaste résidence à Schwerin (voir Drinkuth/Meiner/Puntigam 2018, p. 45 ; Franke 2020, p. 229 et fig. 3 et 4). Cependant, la poursuite de la grande guerre du Nord, dans laquelle le Mecklembourg-Schwerin s’était rangé aux côtés de la Suède, paralysa toute construction dans le duché. Sturm se concentra alors sur ses activités d’essayiste (voir Humbert 1747, p. 74). Depuis 1711, son éditeur à Augsbourg Jeremias Wolff s’était lancé dans la publication d’un nouveau recueil de modèles d’architecture dessinés par Paul Decker, intitulé Fürstlicher Baumeister (Le prince architecte) (voir Decker 1711-1716). Né à Nuremberg, cet architecte et dessinateur au service du margrave de Brandebourg-Bayreuth depuis 1710 ne s’appuyait plus – comme le faisait encore Sturm – sur des règles mathématiques et un long texte de justification. Publiés jusqu’en 1716, ses deux volumes accompagnés d’un recueil annexe étaient presque exclusivement constitués de saisissantes vues gravées sur cuivre. Ces estampes montraient pour la plupart, mais pas exclusivement, des bâtiments d’apparat imaginaires. Leur aspect extérieur y est figuré à l’aide de vues topographiques, pour l’essentiel à vol d’oiseau, mais aussi d’élévations et de plans au sol. S’y ajoutaient des intérieurs et appartements de prestige aux murs ornés d’un opulent décor, présentés aux commanditaires potentiels de façon attractive donnant presque l’illusion des volumes. Intégrant à ses projets nombre d’innovations empruntées à l’atelier berlinois d’Andreas Schlüter, Paul Decker incarnait, comme l’a souligné Lorenz, cette nouvelle génération pour qui l’architecture était non seulement une science, mais aussi un art, et qui développa de nouvelles formes de « promotion écrite » de ses réalisations (voir Lorenz 1995, p. 144). Les publications de Decker représentaient une sérieuse concurrence pour Sturm, et l’offensive éditoriale que ce dernier lança en 1714 avec sa série Prodrome de l’architecture selon Goldmann doit se comprendre comme une réponse au Prince architecte de Decker (voir Lorenz 1995, p. 140-144 ; Freigang 2004, p. 141). Les Notes de voyage de Sturm, participaient, elles aussi, de cette offensive.
Au printemps 1719, Louis-Rodolphe de Brunswick-Wolfenbüttel (1671-1735), fils cadet du duc Anton Ulrich et prince de Blankenburg depuis 1707, nomma Leonhard Christoph Sturm maître d’œuvre de sa résidence de Blankenburg, dans le massif du Harz. Avant la fin mai, l’architecte s’installa sur place sans en avertir son employeur Charles-Léopold de Mecklembourg-Schwerin ni solliciter son autorisation, le duc s’étant brouillé avec lui en raison de ses opinions piétistes de plus en plus radicales (voir Franke 2020, p. 236). Sturm n’eut pas le temps de prendre ses nouvelles fonctions : il mourut le 6 juin 1719, victime d’un accident vasculaire cérébral (voir Schädlich 1990, p. 138). La même année, son éditeur Jeremias Wolff publia à Augsbourg ses Notes de voyage à titre posthume, lesquelles allaient connaître une nouvelle édition en 1760.
Trois portraits gravés pour trois étapes d’une carrière
Sturm semble avoir tenu à diffuser son image par le biais de la gravure sur cuivre. À chaque étape de sa carrière, il fit réaliser un nouveau portrait gravé ou une version remaniée d’une effigie existante. La qualité inégale de ces estampes illustre l’évolution du statut social et des moyens financiers du commanditaire.
- Une première effigie plutôt sobre a probablement été réalisée peu après la nomination de Sturm comme professeur de mathématiques à l’académie de chevaliers de Wolfenbüttel en 1694. Œuvre d’un graveur anonyme, l’estampe nous présente un portrait en buste ovale dépourvu de cadre, partiellement pris dans le drapé d’une tenture et posé sur un socle mouluré portant l’inscription « Leonhard Christoph Sturm » (conservé entre autres à la Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel, numéro d’inventaire A 21483, reproduction accessible en ligne, voir la banque d’images de portraits Digitaler Portraitindex).
- Le portrait exécuté en 1707 par le graveur Martin Bernigeroth et édité à Francfort-sur-l’Oder par Jeremias Schrey l’Ancien et Johann Christoph Hartmann est bien plus élaboré. Sturm, nommé en 1702 professeur de mathématiques à l’Alma Mater Viadrina de Francfort-sur-l’Oder, y est figuré en érudit à l’esprit combatif. En haut à droite de la composition, un génie ailé tient d’une main un masque à distance de son visage et soulève de l’autre un lourd rideau dévoilant un portrait en médaillon, vers lequel un sphinx, figuré en bas à gauche, semble diriger son regard. En haut, dans un pli du rideau, on peut lire l’inscription PATEAT CENSURAE, autrement dit « Il est ouvert aux critiques ». Sur le socle figure le nom latinisé et la fonction du modèle : « M[agister] Leonhardus Christophorus Sturm Mathes[eos] Prof[essor] Ord[inarius] anno aetat[is] 36. A[nn]o. MDCCVI », soit « Maître Leonhard Christoph Sturm, professeur titulaire de mathématiques à l’âge de 36 ans, en l’an 1706 » (conservé entre autres à la bibliothèque Herzog August de Wolfenbüttel, numéro d’inventaire A 21481, reproduction accessible en ligne, voir la banque d’images de portraits Digitaler Portraitindex). Sturm cherche ici manifestement à défendre sa démarche d’essayiste, célèbre pour ses écrits polémiques où il relève les erreurs et les incohérences de ses pairs. En 1704, il avait ainsi lancé une controverse avec le théoricien des fortifications Ernst Friedrich von Borgsdorff (voir Bürger 2013, p. 524-527 ; Büchi 2018, p. 151-152). En 1706, dans la querelle berlinoise dite de la Münzturm, il l’avait même emporté sur le maître d’œuvre apprécié du palais royal Andreas Schülter, évincé l’année suivante de son poste, même s’il continua à œuvrer comme sculpteur auprès de la cour à Berlin (voir plus haut et Schädlich 1990, p. 105).
- Après son déménagement à Schwerin en 1711 et sa nomination comme conseiller de la Chambre ducale en 1712, Sturm fit réaliser une version simplifiée du portrait précédent, sans répertoire iconographique ostentatoire ni inscriptions latines. Cette estampe avait sans doute pour objet d’illustrer son nouvel état d’esprit, tout à la fois moins présomptueux et empreint de confiance en soi, qui avait accompagné sa conversion au calvinisme et son départ du Brandebourg et de la Prusse. La feuille est peut-être due à Johann Georg Mentzel, mais cette attribution n’est pas certaine. L’auteur s’est inspiré de la gravure sur cuivre de Martin Bernigeroth. Le portrait ovale est désormais entouré d’un simple drapé et repose sur un parapet orné de moulures où figure l’inscription en allemand : « Leonhard Christoph Sturm. Mathematicus, und Fürstl. Mecklenb. Cammer=Rath und Bau=Director », autrement dit « Leonhard Christoph Sturm. Mathématicien, conseiller de la Chambre et maître d’œuvre de la principauté du Mecklembourg » (conservé entre autres à la bibliothèque de l’université de Heidelberg, numéro d’inventaire Graph. Slg. P_1448, reproduction accessible en ligne, voir la banque d’images de portraits Digitaler Portraitindex).
La source
L’ouvrage dont nous reproduisons la partie consacrée à la France a pour titre complet : Leonhard Christoph Sturms Durch einen grossen Theil von Teutschland und den Niederlanden biß nach Pariß gemachete Architectonische Reise-Anmerckungen / Zu der Vollständigen Goldmannischen Bau-Kunst VIten Theil als ein Anhang gethan / Damit So viel des Auctoris Vermögen stehet / nichts an der Vollständigkeit des Wercks ermangle. Cum Gratia & Privilegio Sacrae Caesareae Majestatis. Augspurg / In Verlegung Jeremiae Wolffen / Kunsthändlers. Daselbst gedruckt bey Peter Detlefssen. Anno M DC XIX., (Notes de voyage architecturales de Leonhard Christoph Sturm, recueillies à travers une bonne partie de l’Allemagne et des Pays-Bas, jusqu’à Paris ; placées en guise de VIe partie en annexe de l’Art de bâtir de Goldmann afin, dans la mesure des moyens de l’auteur, d’assurer l’exhaustivité de l’ouvrage ; éditées par grâce et privilège de Sa Majesté impériale à Augsbourg par le marchand d’art Jeremias Wolff et imprimées par Peter Detlefssen en l’an 1719.). En 1760, l’ouvrage fut réédité, toujours par Jeremias Wolff. Nous nous référons ici à l’édition originale de 1719, conservée à la bibliothèque de l’Institut de recherche Getty de Los Angeles (Getty Research Institute, Research Library, Special Collections, cote 85-B25243). Il s’agit d’un ouvrage in folio dont les feuilles ont un format moyen de 33 x 20 cm. Il comprend 144 pages de texte, imprimées en caractères gothiques, et 52 planches gravées sur cuivre, pour certaines dépliantes (foliotées de A à D avant la partie réservée au texte et de I à XLVIII après cette dernière). Sturm a fourni les dessins préparatoires aux estampes gravées sur cuivre par Johann August Corvinus et éditées par Jeremias Wolff. Le texte est présenté sous la forme d’une suite de lettres. Pour la cohérence scientifique du projet, nous nous sommes limités à la reproduction des lettres se rapportant directement à la France, à savoir celles numérotées XII à XXVI, p. 48-132 (de l’arrivée de Sturm en Île-de-France à son retour par Amiens, Lille et Gand). Nous les avons toutefois fait précéder de la lettre I, vue 5 (p. 3), nécessaire à la compréhension du cadre général du récit. Nous n’avons donc retenu, ni les lettres II à XI, p. 4-48 (trajet aller par Magdebourg, Brunswick, Hanovre, Clèves, Nimègue, Deventer, Breda, Anvers, Bruxelles jusqu'à l’entrée en France par Valenciennes et Saint-Quentin), ni celles numérotées XXVII-XXVIII, p. 132-144 (trajet retour par Delft, Ryswick, Alkmaar, Enkhuizen, Groningue, Brême, Hambourg et Lübeck jusqu’à Rostock). Parmi les planches (notées « Tab. » pour « tabula/table ») n’ont été reproduites que celles mentionnées dans la partie concernant la France, à savoir : planches B, C, XIIII et XVIII à XLVI.
Comme nous l’avons vu, Sturm a conçu ses Notes de voyage architecturales comme un complément parmi d’autres à une suite d’éditions, commencée en 1696, du traité sur L’art de l’architecture civile du mathématicien Nikolaus Goldmann. Les Notes devaient à l’origine prendre la forme d’un livre autonome mais ont finalement été conçues, conformément au titre, comme la « VIe partie » d’une série de commentaires publiés à brève intervalle à partir de 1714. C’est pourquoi on les retrouve souvent réunies dans un même volume avec d’autres écrits de cette même série.
En 1697, Sturm avait passé six semaines dans les Provinces-Unies. Il traversa à nouveau ces dernières ainsi que la Flandre en 1699 pour séjourner dix semaines en France, essentiellement à Paris. Ses premiers biographes mentionnent déjà ces voyages (voir Zedler 1744, col. 1424 ; Humbert 1747, p. 62). En 1712 suivit un autre voyage d’étude d’un mois dans les Provinces-Unies. Peu avant sa mort en 1719, Sturm rédigea une autobiographie qui nous livre des informations sur la durée de ces différents séjours : Leonhard Christoph Sturms Mathematici Lebenslauff, von ihm selbst geschrieben, nebst beigefügter Nachricht von seinem Tode (Vie du mathématicien Leonhard Christoph Sturm, écrite par lui-même, auquel on a joint le récit de sa mort). Malheureusement, les deux transcriptions conservées jusqu’en 1945 par la bibliothèque d’État de Berlin (Mss. Nicolaï 227 et 228 ou, selon l’ancien inventaire, 115 et 116) sont aujourd’hui référencées parmi les dommages de guerre et donc considérées comme perdues (voir Lorenz 1995, p. 119 note 3). Isolde Küster a toutefois pu consulter l’original pour sa thèse sur Leonhard Christoph Sturm soutenue en 1942. C’est en se fondant sur ses travaux que les études ultérieures mentionnent une durée de six semaines pour le premier voyage dans les Provinces-Unies et de dix semaines pour le séjour en France, au cours du deuxième voyage, auxquelles s’ajoutèrent cinq semaines de trajet aller et retour (voir Küster 1942, p. 13 et 33). Remarquons que Heinz Ladendorf a aussi réalisé avant guerre une transcription lacunaire de cette autobiographie, qui vient confirmer ces informations (précision due à Matthias Franke). Ces extraits sont conservés au Germanisches Nationalmuseum (Musée national germanique) de Nuremberg, Deutsches Kunstarchiv (Archives allemandes de l’art), fonds Ladendorf, AS 3, dossier 1 « Sturm » (voir Lorenz 1995, p. 119, note 3 ; Franke 2009, p. 149, note 4). Matthias Franke a aussi aimablement attiré notre attention sur la présence à la bibliothèque Herzog August de Wolfenbüttel d’une version partielle en latin de la biographie de Sturm (HAB Sig. : 255.8 Extra 379). La comparaison entre la transcription de Nuremberg et le texte de Wolfenbüttel reste cependant à faire. Enfin, les registres de prêt de l’ancienne bibliothèque ducale constituent une source complémentaire pour évaluer la durée des séjours à l’étranger de l’architecte alors qu’il habitait à Wolfenbüttel. L’arrêt des prêts à son nom, du 4 juillet au 13 octobre 1699, soit quatorze semaines et demi (voir Raabe 1998, p. 349-350), pourrait en effet être un indice de son voyage en France pendant cette période.
Les Notes de voyage sont donc écrites sous la forme de lettres que l’auteur est censé, si l’on en croit le texte introductif, avoir envoyé régulièrement depuis Rostock, de début mai 1716 à la fin février 1717, à un ami lui-même en train de voyager. Cet ami accompagne le fils d’un comte dans un tour éducatif en France, qui passe par les Provinces-Unies et la Flandre (voir lettre n° I, p. 3 (vue 5) ; reproduite dans notre édition). Désormais remises en ordre, les notes prises voilà des années par Sturm à l’occasion de ses propres voyages doivent servir de guide à cet ami chargé d’instruire son protégé. Et Sturm d’ajouter qu’à l’époque un ensemble de dessins lui a été volé par un domestique. Cette fiction narrative où il présente ses explications comme un service amical, dont lui-même a été privé, lui permet surtout de justifier le temps qui sépare ses longs voyages de l’écriture de son livre, ainsi que les anachronismes et inexactitudes de ses descriptions (il ne mentionne pas notamment la nouvelle chapelle royale du château de Versailles, construite de 1699 à 1710). La rédaction d’un rapport de voyage sous la forme d’une correspondance n’avait rien d’inhabituel en soi. Citons l’exemple du baron Karl Ludwig von Pöllnitz qui rédigea ses Nouvelles comme autant de lettres fictives adressées à un certain « Monsieur C. D. S. » (voir Pöllnitz 1735). Thomas Grosser interprète donc mal le contexte narratif lorsqu’il suppose que Sturm aurait en réalité publié les « rapports obligatoires sur son voyage en France, envoyés à Wolfenbüttel en 1699 » (voir Grosser 1989, p. 132). Sturm donne un vernis littéraire à ses descriptions en restituant les impressions ressenties dans un style épistolaire. Cela lui permet aussi de diviser ce vaste matériel en unités assimilables, en « leçons », dans un esprit parfaitement conforme à l’objectif didactique du texte. Il ne faut pas se méprendre, les Notes de voyage finalement publiées en 1719 résultent en fait de la compilation d’un ensemble disparate d’observations et de dessins appartenant à différentes périodes. L’itinéraire cartographié par Simon Paulus sur la base des lieux mentionnés dans les Notes de voyage reflète un parcours fictif, qui n’est pas nécessairement celui réellement suivi par Sturm (voir Paulus 2011, p. 53-59, avec carte de l’itinéraire p. 54-55). C’est pour cette raison que nous avons renoncé à toute représentation graphique du trajet dans notre édition en ligne.
Essai de vue d’ensemble du matériel consulté et incorporé à son récit par Sturm :
- Une source écrite préliminaire aux Notes de voyage nous est parvenue sous le titre Kurtze Beschreibung einer Tour durch Holland nach Frankreich, von Braunschweig (Brève description d’un Grand Tour depuis Brunswick jusqu’en France). Ce manuscrit conservé à la bibliothèque universitaire de Rostock est assorti de nombreux dessins, dont seuls certains ont été ajoutés à la version imprimée par Sturm. L’architecte Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck (vers 1685 ?-1720) en est l’auteur (voir l’édition numérique de ce manuscrit). Guido Hinterkeuser est le premier à avoir fait de ce document significatif un élément du débat sur les Notes de voyage (voir Hinterkeuser 2009, p. 132, note 3). Florian Dölle, collaborateur de notre projet, a quant à lui su attirer notre attention sur les liens étroits existants entre les écrits de Sturm et ceux de Knesebeck. Au fil d’échanges avec l’auteur de la transcription Guido Hinterkeuser et de recherches complémentaires menées par ce dernier, plusieurs hypothèses sur l’interdépendance des deux textes ont été formulées.
- Knesebeck était rentré au service du duc Frédéric-Guillaume de Mecklembourg-Schwerin au tournant du siècle, avec le grade d’aspirant, pour atteindre finalement celui de capitaine au sein d’une compagnie du génie nouvellement créée (voir Hinterkeuser 2006, p. 71-72). Il avait cherché à se former comme architecte auprès de Jakob Reutz († 13 octobre 1710) à Schwerin, mais l’entreprise avait avorté par manque d’intérêt du maître. Knesebeck poursuivit toutefois sa formation en autodidacte et acquit une remarquable connaissance de l’architecture, entre autres en lisant les écrits de Sturm qu’il admirait à l’évidence beaucoup (voir ibid.). Lorsque Sturm finit par s’installer à Schwerin en 1711, en tant que successeur de Reutz, Knesebeck semble avoir établi avec lui une étroite relation de confiance et de travail. C’est dans ce contexte que le manuscrit de Knesebeck vit le jour. À partir de 1713, Sturm s’attela à la rédaction de plusieurs essais, dont la publication des connaissances acquises au cours de ses voyages en France, aux Pays-Bas et en Flandre. Il est possible qu’il ait demandé à Knesebeck de réunir ses anciennes notes en un texte unique et, ce faisant, de les mettre au propre. Le manuscrit ne présente cependant aucune trace de la mise en forme épistolaire du document qui caractérise la version publiée. De 1711 à l’été 1713 Knesebeck entreprit lui-même un voyage en France, dont témoignent quelques lettres malheureusement non datées (voir Hinterkeuser 2020, p. 254-256). Il se pourrait donc fort bien que Leonhard Christoph Sturm l’ait alors autorisé à recopier ses anciennes notes de voyage en vue de préparer son propre périple.
- Dans son livre, Sturm a réécrit la copie manuscrite réalisée par
Knesebeck en omettant, ajoutant ou complétant certains passages. Pour
ce faire, il a très largement puisé dans une édition de la
Description nouvelle de la ville de Paris de Germain Brice
(1652-1727), ouvrage republié et remanié à plusieurs reprises depuis
1684 (voir Brice 1971, p. XLVII : liste des nouvelles éditions et
réimpressions jusqu’à la dernière en 1752). Sturm avait en sa
possession la 3e édition de 1698 : après le décès de l’ancien
professeur de mathématiques de Wolfenbüttel, une grande partie de ses
livres furent déposés à la bibliothèque Herzog August de la ville.
Dans l’inventaire d’époque correspondant (HAB, BA I,
673),
qui est disponible en ligne depuis 2020, l’édition de 1698 du guide
touristique de Germain Brice est bien répertoriée. Dans ses Notes de
voyage, Sturm expose la manière dont il s’est appuyé sur les
explications du guide pour élaborer ses propres suggestions de
promenades à Paris (p. 50) : il n’a pas toujours suivi l’ordre proposé
par Brice, et ses propres descriptions ne sauraient être considérées
que comme une amélioration du guide français. Des passages en gras
sont en outre censés signaler au lecteur les modifications et
corrections apportées au livre du cicérone (p. 51). Afin de ne pas
égarer le lecteur, la transcription présentée ici en édition numérique
ne reproduit pas ces variations typographiques parfois difficiles à
identifier, même sur l’original. Presque à chaque page du livre on
trouve des commentaires où Sturm prend ses distances avec les
jugements et observations de Brice et qui sont autant de passages
absents du manuscrit de Knesebeck. Citons-en quelques exemples (deux
autres sont présentés dans la section « L’essentiel en un clic »).
L’anecdote du Français au sujet de la statue équestre en bronze de
Louis XIV, érigée place des Conquêtes (actuelle Place Vendôme) à Paris
et censée pouvoir facilement contenir vingt personnes, est qualifiée
par Sturm de « gasconnade », autrement dit de vantardise (p.
60).
Sturm fait remarquer que la fontaine des Innocents à Paris est ornée
de pilastres ioniques et non pas corinthiens comme le prétend Germain
Brice (p.
67).
Il pointe ainsi implicitement la prétention, l’imprécision et la
nature peu fiable du Français.
Si Sturm se montre si péjoratif à l’égard de Brice peut-être est-ce en raison de la longue dédicace figurant au début de la septième édition du guide publié par le Français en 1717. Brice y rend hommage à Auguste-Guillaume de Brunswick-Wolfenbüttel qui a succédé à son père Anton Ulrich en 1714. Rappelons que Sturm avait été au service du duc Anton Ulrich à Wolfenbüttel, de 1694 à 1702. Bien que Germain Brice ne se soit jamais rendu en Allemagne, il fait dans sa dédicace l’éloge de la résidence de Salzdahlum, véritable « Versailles allemand », un projet dont Sturm a été écarté (voir Brice 1717, vol. I, « Épître », s. p.) : « [...] Tout le monde convient que la France a des beautez extraordinaire & tres-dignes d’admiration en tout genre ; cependant les personnes qui ont vû les endroits les plus renommez de l’Europe, ont observé qu’il se voit encore ailleurs de quoi satisfaire la curiosité le plus étendue. Le palais de Saltzdahl, qu’on peut avec juste raison nommer le Versailles de l’Allemagne, [...] sera une marque éternelle de l’heureux discernement de V. A. S. ». Pour prix de cet éloge d’un palais allemand, largement diffusé par l’intermédiaire de son guide, Germain Brice reçut du duc Auguste-Guillaume une médaille d’or et une autre d’argent, toutes deux à l’effigie du souverain. Lorsque Brice décéda en 1727, leur valeur était estimée respectivement à 410 et 18 livres (voir Brice 1971, p. XIV). De telles faveurs n’ont sans doute pas manqué d’irriter Sturm.
Néanmoins, on ne saurait déconsidérer ses Notes de voyage rédigées « en opposition » à la Description de Germain Brice en les reléguant au niveau de simple règlement de compte motivé par la jalousie envers un rival réputé. La référence à un texte existant, qu’on commentait et « améliorait » dans un but didactique, était une pratique courante dans les cercles humanistes, en usage jusqu’à l’époque baroque, et qui allait bien au-delà du simple recours éclectique et irréfléchi à la copie et à la citation. Il s’agissait plutôt d’un moyen de promouvoir des connaissances, l’auteur se situant dans une démarche de transmission. Ce faisant, il rendait hommage à ses prédécesseurs, tout en s’efforçant de surpasser les réalisations du passé. - Cette même intention pédagogique – qui peut parfois tourner à la
pédanterie ou à la mesquinerie – a été poursuivie par Sturm dans le
choix des gravures exécutées d’après ses dessins. Au cours de ses
voyages, il a réalisé des croquis dont certains lui ont servi de
modèles pour les gravures sur cuivre insérées dans ses nombreuses
publications. Dans la bibliothèque du Germanisches Nationalmuseum
(Musée national germanique) de Nuremberg sont conservés, sous la cote
2°Hs. 94142, trois recueils où les originaux de plusieurs de ses
croquis ont été collés sur des feuillets. Dans le deuxième recueil
(vol. 2, partie f, p. 78-127) figurent les dessins préparatoires aux
gravures sur cuivre publiées dans les Notes de voyage (voir
Isphording 2014, n° 357, p. 218-219). Quant aux rapports entre ces
études préliminaires, les dessins présents dans le manuscrit de
Knesebeck et les illustrations gravées du livre de Sturm, ils restent
à élucider.
Souvent les dessins de bâtiments étaient comparés à des gravures déjà publiées puis « améliorés ». Sturm s’est en particulier servi d’estampes de Jean Marot qu’il appréciait particulièrement et plaçait bien au-dessus de Germain Brice (sur l’œuvre graphique de Marot, voir Deutsch 2015). Ses dessins ne restituent presque jamais l’état réel des édifices. Mais de temps à autre, dans des vues synoptiques, Sturm confronte sur une seule feuille l’état réel à sa version améliorée. Remarquons que ce procédé permettant à l’architecte de faire la démonstration de ses talents de dessinateur n’a rien de nouveau. On le trouve déjà dans le Codex Barberini de Giuliano da Sangallo, un volume de dessins du XVe siècle, et il sera ensuite mis en œuvre plusieurs fois par Jacopo Barozzi da Vignola dans ses Regole delli cinque ordini d’architettura (Règles des cinq ordres d’architecture), traité largement diffusé, probablement imprimé à Rome en 1562 (voir Deutsch 2010, p. 405 et 410). Sturm se distingue seulement par la fréquence avec laquelle il y recourt. Abraham von Humbert, l’un de ses premiers biographes, s’est ainsi senti obligé de défendre cette pratique, par exemple au sujet des propositions que fait l’architecte pour améliorer le portail d’entrée de l’hôtel de La Vrillière (voir p. 65 et pl. XXIV, avec la version remaniée du portail, ou Humbert 1747, p. 64 ; pour une analyse détaillée de cette approche, voir Ziegler 2015).
Sturm a toutefois réalisé certaines de ses gravures dans le but explicite d’apporter un complément à des estampes déjà en circulation. Ainsi, pour l’hôtel Pussort de la rue Saint-Honoré, il n’existait qu’une vue gravée de la façade sur jardin par Jean Marot (voir Deutsch 2015, p. 167-171 et fig. 27, p. 166). Dans son livre, Sturm y ajouta une représentation de la façade sur rue (p. 63 et pl. XXVI), une démarche qui accrut encore l’attrait du livre aux yeux des spécialistes. La façon dont Sturm a abordé et interprété les estampes de Jean Marot et les descriptions de Germain Brice mérite quant à elle d’être analysée plus en détail.
Contexte politique du voyage de Sturm en France
Afin de mieux évaluer la source historique que constituent les Notes de voyage architecturales, il convient d’éclairer le contexte politique dans lequel Sturm a entrepris son périple en France en 1699. Le duc Anton Ulrich de Brunswick-Wolfenbüttel avait conclu un traité d’alliance avec Louis XIV en 1698, traité qui fut renouvelé en 1701. Il espérait que l’appui politique et financier de la France lui permettrait de contester l’attribution d’une nouvelle et neuvième dignité électorale à son rival, le duc de Brunswick-Lunebourg. Ce membre de l’ancienne lignée guelfe résidant à Hanovre avait en effet réussi à obtenir de l’empereur cette promotion convoitée en 1692. S’estimant négligé par le souverain, le duc Anton Ulrich avait entrepris de renforcer les fortifications de son territoire et de lever de nouvelles troupes grâce à d’importants subsides français afin de contrer le nouvel électeur de Hanovre et ses alliés, qui bénéficiaient quant à eux du soutien impérial. Pour sa part, Louis XIV souhaitait avoir à ses côtés la principauté de Brunswick-Wolfenbüttel comme bastion anti-habsbourgeois au cœur de l’Empire, alors que s’annonçait la guerre de la Succession d’Espagne. C’est donc comme sujet d’une puissance alliée que Leonhard Christoph Sturm se rendit en France, ce qui dut certainement lui faciliter l’accès aux châteaux royaux, même si dans ses Notes de voyage il nie avoir bénéficié du moindre traitement de faveur (il y souligne plutôt les difficultés rencontrées, comme par exemple quand il voulut prendre des mesures à Versailles ; voir p. 110, 119 et 120). Cependant, l’alliance entre Louis XIV et Anton Ulrich ne porta pas ses fruits. Le duc, qui avait en grande partie dilapidé les subventions françaises en projets de construction et divertissements de cour, dut se soumettre à la supériorité militaire de ses adversaires et se résoudre par étape – en 1702 puis finalement en 1706 – à voir la maison de Brunswick-Lunebourg être définitivement élevée à la dignité électorale (voir Dölle 2014, p. 97-100). Pendant la guerre de la Succession d’Espagne, qui fit rage jusqu’en 1713-1714 dans une grande partie de l’Europe occidentale, l’écriture et la publication d’un manuel didactique sur l’architecture parisienne n’avait guère de sens. Ce n’est donc qu’à la fin du conflit, en 1713, que Sturm semble avoir commencé la transformation de ses notes de voyage en livre.
Eu égard au nouvel équilibre politique au sein de l’Empire, le ton très anti-français de Leonhard Christoph Sturm traduit sans doute aussi sa volonté de faire oublier que son ancien souverain, à qui il devait son voyage en France, avait été l’un des partisans de Louis XIV.
État de la recherche
Étonnamment, aucune étude monographique sur les Notes de voyage architecturales de Leonhard Christoph Sturm n’a été publiée à ce jour. Anna Hartmann en a cependant proposé une première traduction française complète et commentée, dans son mémoire de maîtrise soutenu en 2000. C’est cette traduction qui constitue la base de la version française de notre édition en ligne (voir Hartmann 2000). Ce travail a eu le mérite d’ouvrir la voie, côté français, à une approche sans a priori de ce texte clé qui, depuis Louis Réau, n’avait été lu que de façon superficielle et le plus souvent critique (voir Réau 1924, p. 117-118 ; Réau 1928, p. 20 ; Du Colombier 1956, vol. 1, p. 78 et 251, note 143 ; Pérouse de Montclos 1982, p. 214-215).
Ces dernières années, la recherche sur Sturm a aussi pris de l’ampleur côté allemand et néerlandais en éclairant de nombreux aspects de son travail qui n’avaient pas encore été suffisamment pris en compte. Matthias Franke a analysé les liens de Sturm avec le piétisme (voir Franke 2009), déjà explorés une première fois par Theodor Wotschke en 1931 (voir Wotschke 1931). Ses mérites dans le domaine des mathématiques ont également été mis en avant (voir Knobloch 2005), ainsi que ses contributions à l’architecture des forteresses par l’intermédiaire de traités et de textes polémiques (voir Bürger 2013, p. 522-531 ; Büchi 2018 ; Paulus 2020). Après les premières études isolées consacrées aux Notes de voyage par Cornelius Gurlitt et Jan Henrik Plantenga (voir Gurlitt 1922 ; Plantenga 1934), l’intérêt pour le texte de Sturm s’est récemment accru. Simon Paulus a entrepris de le replacer dans le contexte des voyages architecturaux (voir Paulus 2011, p. 53-59). Dans le prolongement de l’étude de Plantenga, la perception par Sturm de l’architecture néerlandaise a de nouveau fait l’objet de recherches (voir Paulus 2014, p. 262-266 ; Dunk 2016). Enfin, l’auteur de ces lignes a plusieurs fois exploré les jugements critiques de l’architecte allemand sur l’art français (voir Ziegler 2010, p. 170-173 ; Ziegler 2013, p. 215-219 ; Ziegler 2015).
La relation que Sturm entretient avec la théorie architecturale française alors que la « querelle des Anciens et Modernes » bat justement son plein a été analysée par Christian Freigang. Sturm étant persuadé que les lois des proportions sont immuables, fondées sur des principes mathématiques et, en dernier ressort, déterminées par la Bible, il n’est pas en mesure – c’est là la conclusion de Freigang – de formuler un modèle convaincant de l’évolution de l’architecture. En effet, un tel modèle repose nécessairement sur la conscience que les lois régissant le beau et l’harmonie des proportions sont relatives et liées à l’histoire ; un postulat parfaitement reconnu, quoiqu’à des degrés différents, par les protagonistes de la « querelle », François Blondel et Claude Perrault (voir Freigang 2004). Voilà qui explique peut-être pourquoi dans son livre Sturm loue à la fois l’art de la stéréotomie développé par Claude Perrault et certains bâtiments de François Blondel. Étonnamment, l’admiration de Sturm pour Perrault est jusqu’à présent passée largement inaperçue (voir Petzet 2000).
Pour ce qui est de la mise en pratique architecturale des théories de Sturm, deux paradigmes ont été énoncés. Si Hellmut Lorenz part du principe que ses considérations théoriques ont eu peu d’applications concrètes (voir Lorenz 1992 ; Lorenz 1995), Edzard Rust a lui tenté de montrer dans quelle mesure les solutions standardisées s’appuyant sur la théorie défendue dans ses nombreux écrits ont exercé une influence sur l’architecture du monde germanophone autour de 1700 (voir Rust 2007). Rust a ainsi pu identifier plusieurs domaines où le catalogue de propositions de Sturm témoigne d’orientations pionnières, même si celles-ci sont ensuite pour la plupart amendées. Il en va ainsi, pour l’architecture religieuse, de ses plans en coupe d’un temple protestant ; pour celle des théâtres, de sa proposition de salle d’opéra et de spectacle prenant la forme d’un bâtiment autonome et, pour l’architecture des palais et manoirs, de son plaidoyer en faveur d’un vestibule communiquant par un escalier à trois volées avec une salle de bal située juste au-dessus (voir Rust 2007, p. 516, 519-520). Franke a aussi récemment tenté de mettre en évidence la mise en application des idées de Sturm, par exemple dans le duché de Mecklembourg-Schwerin (voir Franke 2020). Partant de ses constatations, il convient de se demander dans quelle mesure les « propositions d’amélioration » formulées dans les Notes de voyage à propos de bâtiments français ont eu un effet tangible sur la pratique de l’architecture en Allemagne.
L’essentiel en un clic
Examen systématique des jugements positifs sur l’architecture française formulés par Germain Brice dans les différentes éditions de sa Description de la ville de Paris. À chaque page de l’ouvrage de Sturm, on peut lire un commentaire critique sur le guide du Français. Citons deux exemples : Brice fait à tort l’éloge du pont Neuf de Paris en le présentant comme unique alors qu’il existe d’autres ponts non bâtis à Ratisbonne, Prague et Dresde (p. 82) ; il a surestimé les dimensions de l’église du Dôme aux Invalides (p. 93).
Admiration exprimée pour la technique française de taille de la pierre selon les règles de la stéréotomie. En la matière, le caractère exemplaire des bâtiments de Claude Perrault est souligné avec constance par Sturm, en particulier la façade est du palais du Louvre (p. 55) et le bâtiment de l’Observatoire (p. 100).
Description détaillée et personnelle des peintures du cycle de Catherine de Médicis par Pierre Paul Rubens au palais du Luxembourg, aujourd’hui conservées au musée du Louvre (p. 87-89) ; Sturm se démarque particulièrement par sa présentation de La Naissance du Dauphin, futur Louis XIII (n° 9 dans sa liste, p. 88).
Sturm est l’un des rares voyageurs à reconnaître la portée politique des tableaux de la Grande Galerie (galerie des Glaces) de Versailles (p. 121). Examen approfondi et réfléchi de l’architecture religieuse et civile à Paris comme par exemple l’hôtel Amelot de Bisseuil, pour lequel Sturm imagine un projet d’amélioration détaillé (p. 76-78 et pl. XXIX).
Sturm est un des rares architectes allemands à mentionner André Le Nôtre, célèbre jardinier ordinaire du roi, dont il visite la demeure ainsi que sa riche collection d’art proche du palais des Tuileries (p. 53-54).
Bibliographie
Bender 2011 : Eva Bender, Die Prinzenreise : Bildungsaufenthalt und Kavalierstour im höfischen Kontext gegen Ende des 17. Jahrhunderts, Berlin, Lukas, 2011, coll. « Schriften zur Residenzkultur », vol. 6.
Bernet 2006a : Claus Bernet, « Leonhard Christoph Sturm (1669-1719) », dans Fränkische Lebensbilder, éd. par Erich Schneider, Neustadt an der Aisch, Gesellschaft für fränkische Geschichte e. V., 2006, coll. « Veröffentlichungen der Gesellschaft für Fränkische Geschichte », série 7A, Fränkische Lebensbilder, vol. 21), p. 155-170.
Bernet 2006b : Claus Bernet, « Der lange Weg aus der Konfession in den radikalen Pietismus von Babel in das himmlische Jerusalem, am Beispiel von Leonhard C. Sturm, Elias Eller und “Chimonius“ », dans Confessionalism and Pietism : Religious Reform in Early Modern Europe, éd. par Frederik Angenietus van Lieburg, Mayence, Verlag Philipp von Zabern, 2006, coll. « Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz, Abteilung für Abendländische Religionsgeschichte », cahier 67, p. 255-281.
Brice 1717 : Germain Brice, Description de la Ville de Paris, et de tout ce qu’elle contient de plus remarquable : enrichie d’un nouveau plan & de nouvelles figures dessinées & gravées correctement, 3 vol., Paris, François Fournier, 1717.
Brice 1971 : Germain Brice, Description de la Ville de Paris et de tout ce qu’elle contient de plus remarquable. Reproduction de la 9e édition (1752) accompagnée d’une notice sur Germain Brice et sa « Description de Paris » et d’une table cumulative des neuf éditions, éd. par Pierre Codet, préface de Michel Fleury, Genève, Paris, Droz, 1971.
Büchi 2018 : Tobias Büchi, « Freundlicher Wettstreit der französischen, holländischen und deutschen Kriegsbaukunst : Leonard Christoph Sturm als Fortifikationstheoretiker », dans Die Festung der Neuzeit in historischen Quellen, sous la dir. de Guido von Büren, éd. au nom de la Deutsche Gesellschaft für Festungsforschung e.V., Ratisbonne, Schnell & Steiner, 2018, coll. « Festungsforschung », vol. 9, p. 145-159.
Bürger 2013 : Stefan Bürger, Architectura Militaris. Festungsbautraktate des 17. Jahrhunderts von Specklin bis Sturm, Berlin, Munich, Deutscher Kunstverlag, 2013, coll. « Kunstwissenschaftliche Studien », vol. 176.
Decker 1711-1716 : Paul Decker, Fürstlicher Baumeister, Oder Architectura Civilis : Wie Grosser Fürsten und Herren Palläste, mit ihren Höfen, Lusthäusern, Gärten, Grotten, Orangerien, und anderen darzu gehörigen Gebäuden füglich anzulegen, und nach heutiger Art auszuzieren [...], 2 vol., Augsbourg, Jeremias Wolff, 1711-1716.
Deutsch 2010 : Kristina Deutsch, « Reproduktion, Invention und Inszenierung: Jean Marot (1619-1679) und die druckgraphische Architekturdarstellung in Frankreich », dans Druckgraphik. Zwischen Reproduktion und Invention, éd. par Markus A. Castor, Jasper Kettner, Christian Melzer et Claudia Schnitzer, Munich, Berlin, Deutscher Kunstverlag, 2010, coll. « Passagen/Passages », vol. 31, p. 403-417.
Deutsch 2015 : Kristina Deutsch, Jean Marot : un graveur d’architecture à l’époque de Louis XIV, Berlin, De Gruyter, 2015, coll. « Ars et Scientia », vol. 12.
Dölle 2014 : Florian Dölle, « Anton Ulrich, Frankreich und die französische Kunst », dans “... einer der größten Monarchen Europas“?! Neue Forschungen zu Herzog Anton Ulrich, éd. par Jochen Luckhardt, volume d’études publié à l’occasion de l’exposition « Fürst von Welt. Herzog Anton Ulrich – Ein Sammler auf Reisen » pour le 300e anniversaire d’Anton Ulrich de Brunswick-Lunebourg, Brunswick, 2014, Petersberg, Michael Imhof, 2014, p. 94-115.
Drinkuth/Meiner/Puntigam 2018 : Schatz entdeckt! Der verschollene Planschatz der Mecklenburger Herzöge, éd. par Friederike Drinkuth, Jörg Meiner et Sigrid Puntigam, cat. exp. (Staatliche Schlösser, Gärten und Kunstsammlungen Mecklenburg-Vorpommern, Staatliches Museum Schwerin, 2018), Dresde, Sandstein, 2018.
Du Colombier 1956 : Pierre du Colombier, L’architecture française en Allemagne au XVIIIe siècle, 2 vol., Paris, Presses universitaires de France, 1956.
Dunk 2016 : Thomas H. von der Dunk, « Sturm über Holland. Ergebnisse einer Studienreise eines deutschen Architekturtheoretikers in die niederländische Republik um 1700 », In situ 8, 2016/2, p. 191-204.
Ellwardt 2013 : Kathrin Ellwardt, « Sturm, Leonhard Christoph », dans Neue Deutsche Biographie, vol. 25, Berlin, Duncker & Humblot, 2013, p. 652-654.
Evers/Thoenes 2003 : Architektur. Theorie von der Renaissance bis zur Gegenwart. 89 Beiträge zu 117 Traktaten, avant-propos de Bernd Evers, préface de Christof Thoenes, en collaboration avec la Kunstbibliothek der Staatlichen Museen Berlin, Cologne, Taschen, 2003.
Florack 2007 : Ruth Florack, « Französische Urbanität statt deutscher Schwerfälligkeit. Nationaltopoi und Gelehrtenkritik bei Thomasius », dans Bekannte Fremde. Zur Herkunft und Funktion nationaler Stereotype in der Literatur, éd. par Ruth Florack, Tübingen, Niemeyer, 2007, p. 209-218.
Franke 2009 : Matthias Franke, « Leonhard Christoph Sturm. Zwischen pietistischer Überzeugung und Repräsentation am Berliner Hof », dans Architekt und/versus Baumeister. Die Frage nach dem Metier, Siebter Internationaler Barocksommerkurs, Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, Einsiedeln, 2006, éd. par Tiziana De Filipo, Werner Oechslin et Philip Tscholl, Zurich, gta, 2009, p. 142-151.
Franke 2020 : Matthias Franke, « Leonhard Christoph Sturm als mecklenburgischer Baudirektor von 1711 bis 1719 », dans Der Mecklenburgische Planschatz. Architekturzeichnungen des 18. Jahrhunderts aus der ehemaligen Sammlung der Herzöge von Mecklenburg-Schwerin, catalogue éd. au nom des Staatlichen Schlösser, Gärten und Kunstsammlungen Mecklenburg-Vorpommern et de la Landesbibliothek Mecklenburg-Vorpommern Günther Uecker par Sigrid Puntigam, volume de contributions, Dresde, Sandstein, 2020, p. 227-237.
Freigang 2004 : Christian Freigang, « Göttliche Ordnung und nationale Zeitgemäßheit : die “Querelle des Anciens et Modernes“ in der deutschen Architekturtheorie um 1700 », dans Kulturelle Orientierung um 1700. Traditionen, Programme, konzeptionelle Vielfalt, éd. par Sylvia Heudecker et Dirk Niefanger, Tübingen, Niemeyer, 2004, p. 122-142.
Goudeau 2005 : Jeroen Goudeau, Nicolaus Goldmann (1611-1665) en de wiskundige architectuurwetenschap, Groningue, Elchers, 2005.
Grosser 1989 : Thomas Grosser, Reiseziel Frankreich. Deutsche Reiseliteratur vom Barock bis zur Französischen Revolution, Opladen, Westdt. Verl., 1989.
Gurlitt 1922 : Cornelius Gurlitt, « Drei Künstlerreisen aus dem 17. Jahrhundert, Teil II. Leonhard Sturm’s Studienreise nach den Niederlanden und Paris », Stadtbaukunst alter und neuer Zeit, 3, 1922/1, p. 104-108, 114-117.
Hartmann 2000 : Anna Hartmann, Leonhard Christoph Sturm, Durch einen großen Teil von Deutschland und den Niederlanden bis nach Paris gemachte architektonische Reiseanmerkungen (« Notes d’un voyage architectural fait à travers une grande partie de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la France jusqu’à Paris »), Augsbourg, Jeremias Wolff, 1719, Introduction, traduction et annotations, mémoire de maîtrise, 3 vol., sous la direction de Daniel Rabreau, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne [tapuscrit conservé à la bibliothèque Michelet de l’Institut d’art et d’archéologie].
Heckmann 2000 : Hermann Heckmann, Baumeister des Barock und Rokoko in Mecklenburg, Schleswig-Holstein, Lübeck, Hamburg, Berlin, Bauwesen, 2000.
Hinterkeuser 2003 : Guido Hinterkeuser, Das Berliner Schloss: der Umbau durch Andreas Schlüter, Berlin, Siedler, 2003.
Hinterkeuser 2006 : Guido Hinterkeuser, « Berlin 1706 und 1708 : die Stadt, ihr Schloss und der Münzturm in Beschreibungen und Zeichnungen des mecklenburgischen Architekten Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck », dans Stadtpläne von Berlin, sous la dir. d’Andreas Matschenz, Berlin, Mann, 2006, coll. « Schriftenreihe des Landesarchivs Berlin, vol. 10 », p. 71-90.
Hinterkeuser 2008 : Guido Hinterkeuser, « Schloss Neustadt-Glewe », dans Geschichte der bildenden Kunst in Deutschland, vol. 5 : Barock und Rokoko, éd. par Frank Büttner, Meinrad von Engelberg, Stephan Hoppe et Eckhard Hollmann, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2008, p. 437-438, cat. n° 234.
Hinterkeuser 2009 : Guido Hinterkeuser, « Schlüter, Sturm und andere. Der Architekt als Idol, Lehrer, Vorgesetzter und Konkurrent in Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebecks Manuskript Kurze Remarquen der Oeconomischen alß auch Prächtigen Baukunst (1703-1716) », dans Architekt und/versus Baumeister. Die Frage nach dem Metier, Siebter Internationaler Barocksommerkurs, Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, Einsiedeln, 2006, éd. par Tiziana De Filipo, Werner Oechslin et Philip Tscholl, Zurich, gta, 2009, p. 132-141.
Hinterkeuser 2020 : Guido Hinterkeuser, « Der Architekt Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck. Die Barockarchitektur im Herzogtum Mecklenburg-Schwerin im frühen 18. Jahrhundert », dans Der Mecklenburgische Planschatz. Architekturzeichnungen des 18. Jahrhunderts aus der ehemaligen Sammlung der Herzöge von Mecklenburg-Schwerin, catalogue éd. au nom des Staatlichen Schlösser, Gärten und Kunstsammlungen Mecklenburg-Vorpommern et de la Landesbibliothek Mecklenburg-Vorpommern Günther Uecker par Sigrid Puntigam, volume de contributions, Dresde, Sandstein, 2020, p. 239-257.
Humbert 1747 : Abraham von Humbert, « Mémoire sur la vie et les ouvrages de feu M. Leonard Christophe Sturm, mort architecte de S.A.S. Monseigneur le Duc Louis Rodolphe de Brunswic », Bibliothèque Germanique, 27, Amsterdam, 1733, p. 62-85 ; réimprimé dans Ouvrages divers sur les belles lettres, l’architecture civile et militaire, les mécaniques et la géographie, Berlin, Göttingen, Jean Pierre Schmid, 1747, section III, p. 55-85.
Isphording 2014 : Eduard Isphording, Mit Richtscheit und Zirkel : kommentiertes Bestandsverzeichnis der Architekturtraktate, Säulenbücher, Perspektiv- und Baulehren, Musterbücher und Ansichtenwerke bis zur Mitte des 19. Jahrhunderts im Germanischen Nationalmuseum Nürnberg, Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, 2014.
Knobloch 2005 : Eberhard Knobloch, « Sturms Mathematikverständnis », dans Miscellanea Kepleriana. Mélanges pour le 65e anniversaire de Volker Bialas, éd. par Friederike Boockmann, Daniel A. Di Liscia et Hella Kothmann, Augsbourg, Erwin Rauer, 2005, coll. « Algorismus », cahier 47, p. 309-331.
Küster 1942 : Isolde Küster, Leonhard Christoph Sturm. Leben und Leistung auf dem Gebiet der Zivilbaukunst in Theorie und Praxis, thèse de doctorat, Berlin, université Friedrich-Wilhelm, 1942 [tapuscrit].
Lorenz 1992 : Hellmut Lorenz, « Leonhard Christoph Sturm als Architekturtheoretiker und Architekt », dans Die wissenschaftlichen Größen der Viadrina, éd. par Krzysztof Wojciechowski, Francfort-sur-l’Oder, Université européenne Viadrina, 1992, coll. « Universitätsschriften der Europa-Universität Viadrina Frankfurt a. d. Oder », vol. 2, p. 78-96.
Lorenz 1995 : Hellmut Lorenz, « Leonhard Christoph Sturms Prodromus Architecturae Goldmannianae », Niederdeutsche Beiträge zur Kunstgeschichte, 34, 1995, p. 119-144.
Marperger 1711 : Paul Jacob Marperger, Historie und Leben der berühmtesten Europäischen Baumeister [...], Hambourg, Schiller, 1711.
Osterhausen 1978 : Fritz von Osterhausen, Georg Christoph Sturm. Leben und Werk des Braunschweiger Hofbaumeisters, Berlin, Deutscher Kunstverlag, 1978, coll. « Kunstwissenschaftliche Studien », vol. 50.
Paulus 2011 : Simon Paulus, Deutsche Architektenreisen – zwischen Renaissance und Moderne, Petersberg, Michael Imhof, 2011.
Paulus 2013 : Simon Paulus, « Hermann Korb (1656-1735). Der Baumeister Herzog Anton Ulrichs von Braunschweig-Lüneburg », dans Architekt und/versus Baumeister. Die Frage nach dem Metier, Siebter Internationaler Barocksommerkurs, Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, Einsiedeln, 2006, éd. par Tiziana De Filipo, Werner Oechslin et Philip Tscholl, Zurich, gta, 2009, p. 152-161.
Paulus 2014 : Simon Paulus, « “... wan Hollands niedlichkeit uns in die Augen leucht“. Ein norddeutscher Blick auf Architekturzeichnungen und -graphik aus den Niederlanden », dans Architektur- und Ornamentgraphik der Frühen Neuzeit. Migrationsprozesse in Europa, éd. par Sabine Frommel et Eckhard Leuschner, cat. exp. (Forschungsbibliothek Gotha der Universität Erfurt, 5 juin-31 juillet 2014), Rome, Campisano Editore, p. 261-272.
Paulus 2020 : Simon Paulus, « Ein “Freundlicher Wettstreit“?! Zur Praxis des Festungsbaustudiums um 1700 », In situ, 12, 2020/1, p. 81-92.
Pérouse de Montclos 1982 : Jean-Marie Pérouse de Montclos, L’architecture à la française. XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1982.
Petzet 2000 : Michael Petzet, Claude Perrault und die Architektur des Sonnenkönigs. Der Louvre König Ludwigs XIV. und das Werk Claude Perraults, Munich/Berlin, Deutscher Kunstverlag, 2000.
Plantenga 1934 : Jan Hendrik Plantenga, « Leonhard Christoph Sturms Reiseanmerkungen », dans Handelingen van het 2de Congres voor Algemeene Kunstgeschiedenis, Gand, 1934, p. 47-52; réimprimé dans De Gids, 98, 1934, p. 76-84.
Pöllnitz 1735 : [Karl Ludwig von Pöllnitz], Nachrichten des Baron Carl Ludwig von Pöllnitz, Enthaltend was derselbe auf seinen Reisen besonders angemercket nicht weniger die Eigenschafften derjenigen Personen, Woraus die vornehmsten Höfe in Europa bestehen, aus dem Französischen neu – verbessert – und um ein ansehnliches vermehrten zweyten Edition ins Teutsche übersetzt, 3 parties, Francfort-sur-le-Main, Varrentrapp, 1735.
Polleroß 1995 : Friedrich Polleroß, « Kunstgeschichte oder Architekturgeschichte. Ergänzende Bemerkungen zur Forschungslage der Wiener Barockarchitektur », dans Fischer von Erlach und die Wiener Barocktradition, éd. par Friedrich Polleroß, Vienne, Böhlau, 1995, coll. « Internationales Symposion des Institutes für die Erforschung der Frühen Neuzeit », vol. 4, p. 59-128.
Raabe 1998 : Mechthild Raabe, Leser und Lektüre im 17. Jahrhundert. Die Ausleihbücher der Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel 1664 - 1713, partie A, vol. 1, Leser und Lektüre – Lesegruppen und Lektüre, Munich, Saur, 1998.
Réau 1924 : Louis Réau, « Les artistes allemands en France au XVIIIe siècle », Archives alsaciennes d’Histoire de l’art, n° 3, 1924, p. 113-146.
Réau 1928 : Louis Réau, Histoire de l’expansion de l’art français, vol. II, Belgique et Hollande – Suisse – Allemagne et Autriche – Bohême et Hongrie, Paris, Laurens, 1928.
Rust 2007 : Edzard Rust, « Theorie und Praxis. Leonhard Christoph Sturms Schriften zur Zivilbaukunst und ihr Einfluß auf gebaute Architektur », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, 55/56, 2006/07, coll. « Barock in Mitteleuropa: Werke, Phänomene, Analysen. Pour le 65e anniversaire de Hellmut Lorenz », éd. par Martin Engel, Martin Pozsgai, Christiane Salge et Huberta Weigl, p. 507-528.
Schädlich 1957 : Christian Schädlich, Die Grundzüge der klassischen Architekturtheorie: Versuch einer Wertung an Hand der Schriften des L. C. Sturm (1669-1719), 2 parties, thèse de doctorat, Weimar, Hochschule für Architektur und Bauwesen [tapuscrit].
Schädlich 1990 : Christian Schädlich, « Leonhard Christoph Sturm 1669-1719 », dans Große Baumeister, vol. II, Hinrich Brunsberg, Elias Holl, Leonhard Christoph Sturm, Leo von Klenze, Gotthilf Ludwig Möckel, Ludwig Hoffmann, Richard Paulick, Berlin, Henschel, 1990, coll. « Schriften des Instituts für Städtebau und Architektur, Bauakademie der DDR », p. 91-139.
Semrau 1916 : Max Semrau, « Nicolaus Goldmanns Leben und Schriften », Monatshefte für Kunstwissenschaft, 9, 1916, octobre 1916, p. 349-361 ; 12, décembre 1916, p. 463-473.
Thomasius 1994 : Christian Thomasius, « Discours, Welcher Gestalt man denen Frantzosen in gemeinem Leben und Wandel nachahmen solle? » [1687], dans Ausgewählte Werke, éd. par Werner Schneiders, vol. 22, Hildesheim, Zurich, New York, Olms, 1994, p. 1-70.
Wotschke 1931 : Theodor Wotschke, « Leonhard Christian [sic] Sturms religiöse und kirchliche Stellung. Nach Briefen in der Staatsbibliothek Berlin », Mecklenburgische Jahrbücher, n° 95, 1931, p. 103-142.
Zedler 1744 : « Sturm (Leonhard Christoph) », dans Grosses vollständiges Universal-Lexicon aller Wissenschafften und Künste [...], éd. par Johann Heinrich Zedler, vol. 40, Leipzig, Halle, Johann Heinrich Zedler, 1744, col. 1424-1427.
Ziegler 2010 : Hendrik Ziegler, Der Sonnenkönig und seine Feinde. Die Bildpropaganda Ludwigs XIV. in der Kritik. Mit einem Vorwort von Martin Warnke und einer französischen Zusammenfassung, Petersberg, Michael Imhof, 2010, coll. « Studien zur internationalen Architektur- und Kunstgeschichte », vol. 79.
Ziegler 2013 : Hendrik Ziegler, Louis XIV et ses ennemis. Image, propagande et contestation, avant-propos d’Andreas Beyer et Béatrix Saule, préface de Martin Warnke, traduction Aude Virey-Wallon, Paris, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2013.
Ziegler 2015 : Hendrik Ziegler, « L’art français à l’épreuve du jugement allemand : le cas de l’hôtel d’Amelot de Bisseuil examiné par Leonhard Christoph Sturm », Revue de l’art, n° 190, 2015/4, coll. « Au temps de Louis XIV, sous la direction de Marianne Cojannot-Le Blanc », p. 75-82.
Zubeck 1971 : Paul Zubek, « Leonhard Christoph Sturms deutsche Säulenordnung », Nordelbingen, n° 40, 1971, p. 43-53.
Collaborateurs et collaboratrices
Texte d’introduction : Hendrik Ziegler, revu par Marion Müller et Florian Dölle ; traduction en français : Jean-Léon Muller.
Transcription de l’édition (Sturm) : Marion Müller, revue par Hendrik Ziegler.
Annotation de l’édition (Sturm) : Anna Hartmann, Marion Müller et Hendrik Ziegler.
Rédaction des index en allemand et en français : Bastien Coulon, Florian Dölle, Angela Göbel, Anna Hartmann, Marion Müller, Alexandra Pioch et Hendrik Ziegler, revue et complétée par Jean-Léon Muller et Marie-Paule Rochelois.
Traduction en français de la transcription annotée : Anna Hartmann et Antoine Guémy, revue par Marion Müller, Hendrik Ziegler, Alexandra Pioch et Marie-Paule Rochelois.
Encodage de l’édition allemande et française (Sturm) : Marion Müller, revu par Chloé Menut, Axelle Janiak et Mathieu Duboc.
Balthasar Neumann
Écrites lors de son voyage en France, de janvier à avril 1723, les lettres de Balthasar Neumann à son maître à Wurtzbourg, le prince-évêque Johann Philipp Franz von Schönborn, sont d’autant plus instructives qu’elles illustrent les compétences diplomatiques de l’architecte baroque franconien, dont la célébrité est alors encore à venir. Neumann a été envoyé en France pour présenter au premier architecte du roi, Robert de Cotte, ses plans pour la résidence de Wurtzbourg, élaborés depuis la fin de l’année 1719. Outre celui de De Cotte, Neumann sollicite aussi l’avis de Germain Boffrand, premier architecte des ducs de Lorraine. Dans les dix-neuf lettres conservées, dont la plupart résument ses entretiens, Neumann se montre ouvert aux préférences formelles et aux goûts de ses confrères français, tout en s’efforçant constamment de ne pas renier ses propres idées. Son scepticisme à l’égard des conceptions architecturales françaises – surtout pour ce qui est des façades et de la distribution des espaces intérieurs – y est contrebalancé par son admiration pour les nouveaux décors intérieurs et les arts décoratifs français. Cette ambivalence rend particulièrement significatives les lettres de Neumann, lesquelles, n’ayant jusqu’à présent jamais été entièrement traduites en français, n’ont pu bénéficier de l’attention des chercheurs francophones, en particulier pour ce qui est des échanges artistiques entre l’Allemagne et la France pendant la Régence et au début du règne de Louis XV.
L’homme
Rares sont les portraits de Balthasar Neumann (1687-1753) à être parvenus jusqu’à nous (voir Hansmann 1986, p. 88-91 ; pour une trouvaille récente : Dombrowski/Uluçam 2020, cat. n° 4, p. 60-63). L’un des plus célèbres se trouve sur la partie sud du plafond du grand escalier de la résidence de Wurtzbourg. Sa voûte plate, armée de fer, d’une portée de 19 mètres de large sur 32 mètres de long, pour une flèche de seulement 5,5 mètres de hauteur, compte parmi les chefs-d’œuvre techniques et artistiques de l’officier d’artillerie, ingénieur et architecte Balthasar Neumann. L’énorme surface a été décorée à fresque en 1752-1753 par le Vénitien Giovanni Battista Tiepolo. Ce dernier y a peint une allégorie des quatre continents, au centre de laquelle irradie le soleil impérial dispensateur de paix, figuré en Apollon tenant dans sa main gauche une statuette d’Hercule (voir Stephan 2002, vol. 1, p. 181 ; vol. 2, ill. 44 et 45). Lorsque Tiepolo achève sa composition, en septembre 1753, Neumann est mort il y a seulement quelques semaines. Décédé le 19 août, il est inhumé le 22 dans la chapelle Sainte-Marie, place du Marché à Wurtzbourg (pour les grandes étapes de sa vie, voir Hansmann 1986, p. 8-88 ; Korth 1999 et Satzinger 2016a). Tiepolo a représenté Neumann dans la livrée quelque peu exotique d’un haïdouk de la principauté épiscopale de Wurtzbourg (voir Stephan 2002, vol. 2, ill. 48 ; Störkel 1997, p. 151 ; Hansmann 2020, p. 101-102 ; Dombrowski/Uluçam 2020, cat. n° 29, p. 130-132). Il est allongé, ses jambes négligemment étendues sur un fût de canon, allusion à l’arme dans laquelle il sert dès son entrée dans les troupes franconiennes en 1712. Il y gravit les échelons, accédant en 1741 au rang de colonel du Cercle de Franconie (alliance des principautés et villes franconiennes). Cet officier et architecte, appelé à une brillante carrière, naît en Bohême à Egra (Cheb, en République tchèque) en tant que septième des neuf enfants d’un drapier appauvri et de son épouse, sans doute le 27 janvier 1687 (la seule date certaine est celle de son baptême, qui a lieu le 30 janvier). Après une formation de fondeur de cloches et de canons, commencée vers 1700 à Cheb, Balthasar Neumann se rend en 1711 dans la ville franconienne de Wurtzbourg, à l’occasion de son tour de compagnon. L’année suivante, il entre comme simple soldat au service de l’armée de la principauté épiscopale, où son talent lui permet bientôt d’entamer une remarquable carrière d’artilleur et d’ingénieur militaire.
Souvent reproduit dans la littérature spécialisée, le portrait de Neumann en buste, à l’huile sur toile, réalisé en 1727 par Markus Friedrich Kleinert, est aujourd’hui conservé au musée de Franconie – musée d’État d’art et d’histoire culturelle (Museum für Franken – Staatliches Museum für Kunst- und Kulturgeschichte) à Wurtzbourg (voir Hansmann 1986, pl. coul. 1 ; Klemm 1996 ; Hansmann 2020, p. 93-96). Ce tableau nous montre à la fois l’artilleur et l’architecte – comme plus tard la fresque de Tiepolo – figuré derrière un fût de canon, référence à sa première profession. Neumann s’est fait représenter en chef militaire, avec cuirasse et armures de bras, une cape pourpre jetée en drapé sur les épaules, la tête ornée d’une longue perruque finement poudrée. Dans sa main droite, reposant sur le canon qui fait irruption, depuis la gauche, dans la composition, il tient un plan en partie déroulé, dévoilant les nouveaux bastions de la forteresse de Marienberg, dont il vient de diriger la construction. Peu de temps auparavant, il a en effet été chargé d’étendre et de moderniser les fortifications du château épiscopal qui domine Wurtzbourg depuis les hauteurs de la rive occidentale du Main. Neumann se tient devant l’aile nord de la nouvelle résidence du prince-évêque, dont le gros œuvre vient d’être achevé. Sans détourner le regard du spectateur, il désigne fièrement de la main gauche le bâtiment visible à l’arrière-plan. Cette aile est la première du vaste complexe édifié sur le Rennweg, voie située au sud-est de la ville, un projet dont la planification et la réalisation ont largement occupé l’architecte à partir d’octobre 1719.
Ce portrait peint par Kleinert a probablement été commandité par Neumann lui-même, au moment il se trouvait dans une phase difficile de sa carrière. Le prince-évêque Johann Philipp Franz von Schönborn (décédé le 18 août 1724), qui présidait au destin de la principauté depuis l’automne 1719, a favorisé de manière décisive l’avancement professionnel de Neumann. Dès son entrée en fonction, il confie à Neumann l’élaboration de plans pour la transformation du château épiscopal et finalement la construction d’une nouvelle résidence sur le Rennweg (voir Hubala/Mayer/Mülbe 1984, p. 110-124 ; Schütz 1986, p. 45-54 ; Hansmann 1986, p. 48-56). En 1721, il fait appel à lui pour édifier la chapelle funéraire des Schönborn, lieu de sépulture de la famille princière, dans le prolongement du transept nord de la cathédrale de Wurtzbourg. Ce projet doit aussi beaucoup, jusqu’en 1736, au travail de l’architecte viennois Johann Lucas von Hildebrandt (voir Reuther 1973, p. 63-65 ; Rizzi 1976, p. 141-144 ; Schütz 1986, p. 90-94 et ill. coul. p. 32-37 ; Korth 1987). Enfin, en 1722, Johann Philipp Franz nomme Neumann premier conseiller de la Commission princière des bâtiments, le plaçant ainsi à la tête de l’architecture civile de la principauté épiscopale (sur la politique architecturale du prince-évêque, voir Hubala 1989, p. 32-36 ; Kummer 2000, p. 27-32 ; Süßmann 2007a, p. 260-304 ; Süßmann 2007b). Il autorise en outre l’architecte à entreprendre, début 1723, le voyage à Paris qu’il projette déjà depuis la fin de l’année 1720. Ce séjour lui permettra entre autres de confronter les plans de la résidence de Wurtzbourg aux nouvelles conceptions architecturales françaises (sur le voyage en France, voir Hubala/Mayer/Mülbe 1984, p. 15-28 ; Hansmann 1986, p. 29-47 ; Schütz 1986, p. 49-50 ; Friedrich 2006 ; Krause 2009). La mort soudaine de son mentor n’est pas sans incidence sur sa carrière. Le 2 octobre 1724, le chapitre de la cathédrale de Wurtzbourg élit Christoph Franz von Hutten comme successeur du défunt prince de la maison Schönborn. Si le nouveau souverain n’interrompt pas les travaux de construction de la résidence, il se limite à l’achèvement et à l’aménagement intérieur de l’aile nord, ainsi qu’aux indispensables travaux de terrassement. L’accent est mis sur l’amélioration des capacités défensives de la ville et Neumann est chargé de doter la forteresse de Marienberg de bastions conformes aux standards de l’époque (voir Kummer 2013, p. 33-34). À travers le portrait peint en 1727 par Kleinert, l’architecte veut sans doute exprimer la fierté qu’il tire du travail accompli au service de deux princes-évêques de Wurtzbourg. Mais il cherche aussi à faire savoir à son nouveau maître qu’au-delà du renforcement des fortifications, la poursuite de la construction de la résidence peut également contribuer au prestige de la principauté épiscopale.
En 1729, après la mort de Christoph Franz von Hutten, les partisans de la famille Schönborn prennent à nouveau le dessus au sein du chapitre de la cathédrale. C’est le frère cadet de Johann Philipp Franz, l’influent vice-chancelier du Saint-Empire Friedrich Karl von Schönborn, résidant alors à Vienne, qui est élu prince-évêque de Wurtzbourg et Bamberg. Friedrich Karl devient dès lors, et ce jusqu’à sa mort en 1746, le premier des promoteurs de Balthasar Neumann. C’est sous son règne qu’est achevée, en décembre 1744, la construction de la résidence de Wurtzbourg (voir les lettres de Neumann à son nouveau maître, Lohmeyer 1921). Ce faisant, le souverain ne cesse de contraindre son architecte à confronter ses réflexions de bâtisseur à celles de Johann Lucas von Hildebrandt, son maître d’œuvre préféré quand il exerçait ses fonctions impériales à Vienne. Stimulé par cette mise en concurrence, Neumann affine ses propres conceptions et apporte sa contribution à une synthèse d’idées architecturales qui s’illustre dans la chapelle des Schönborn, mais encore davantage dans la résidence épiscopale.
- Pour la Hofkirche construite de 1732 à 1743 à l’angle sud-ouest du château, Neumann, après une longue période de maturation, intègre au bâtiment rectangulaire imaginé par Hildebrandt trois rotondes ovales de différentes tailles imbriquées les unes dans les autres. Ce faisant, il souligne le centre de l’espace et vient rompre avec son architecture rectiligne en y introduisant plusieurs courbes de rayons variables. Hildebrandt a cependant imposé l’élévation de l’étage des tribunes, d’où le prince-évêque est censé assister à la messe, donnant ainsi à l’ensemble la hauteur appropriée, tant sur le plan fonctionnel qu’esthétique (voir Reuther 1973, p. 69-70 ; Schütz 1986, p. 53-55 et ill. coul. p. 37-39, que nous suivons ici dans ses conclusions ; voir aussi Rizzi 1976, p. 144-151, qui accorde à Hildebrandt une part plus importante dans la conception spatiale du bâtiment). Neumann s’est inspiré pour ces formes courbes de modèles architecturaux de Bohême et de Franconie, telle que l’église de l’abbaye de Banz de Johann Dientzenhofer, et il portera à sa plus parfaite expression l’introduction de rotondes s’étendant jusqu’à la voûte dans la basilique de Vierzehnheiligen (1742-1744) et l’abbaye bénédictine de Neresheim (1747-1750) (voir Schütz 1986, p. 143-184).
- Pour l’extérieur de la résidence de Wurtzbourg, le souverain a aussi tenu à imposer une solution combinant les propositions de ses deux architectes favoris. La façade de l’entrée du palais est dotée d’un avant-corps à trois travées, orné d’un fronton cintré au décor héraldique richement sculpté, conformément aux idées de Hildebrandt. La cour d’honneur se voit ainsi dotée d’un corps de logis central, qui contraste avec le caractère bidimensionnel des façades des deux ailes imaginées par Neumann, avec leurs volumes au rythme plus régulier, comportant moins de parties en saillie et d’ornements sculptés (voir Schütz 1986, p. 52-53 et ill. coul. p. 18-20).
- Un parti similaire s’observe côté jardin, avec un corps central en saillie. Ici aussi, un programme sculptural d’inspiration viennoise se combine à une articulation des façades de conception franconienne (voir Schütz 1986, p. 51-52 et ill. coul. p. 21).
La décision de Friedrich Karl de confier à Neumann la construction de la résidence, tout en le soumettant constamment à la pression de ses concurrents, s’inscrit dans la continuité d’une stratégie déjà éprouvée par son oncle l’archevêque et prince-électeur de Mayence Lothar Franz, chef incontesté de la maison Schönborn, jusqu’à son décès en 1729. Ce dernier a en effet déjà fait travailler ensemble Johann Lucas von Hildebrandt et Johann Dientzenhofer pour l’édification du château de Weißenstein à Pommersfelden, entre 1711 et 1718. De plus, outre les services de l’architecte de la cour Maximilian von Welsch, le patriarche de Mayence s’est aussi assuré ceux de plusieurs « architectes chevaliers », des nobles au service de la Cour comme Philipp Christoph von Erthal ou Anselm Franz von Ritter zu Groenesteyn, chargés, à titre consultatif, d’évaluer les programmes de construction. Dès l’élaboration de ses premiers plans pour la résidence de Wurtzbourg, à l’automne 1719, Balthasar Neumann s’est vu confronté à cette concurrence à plusieurs voix qui culmina notamment au moment de la conception du projet final dit « aux ovales ». En février 1720, soit bien avant la pose de la première pierre, le 22 mai de la même année, Maximilian von Welsch a conçu une proposition d’extension à la demande de son maître, l’électeur de Mayence. Ce projet aura une influence décisive sur le devenir de celui de Neumann, même après son voyage en France. Neumann a initialement prévu d’adjoindre, au nord et au sud d’un corps central en retrait, deux ailes de plan carré dotées chacune d’une cour intérieure, formant ainsi un ensemble aux dimensions déjà impressionnantes. Dans son projet, von Welsch entreprend en outre d’ajouter aux deux ailes une extension disposée autour d’une nouvelle cour intérieure placée à l’avant de la première. Les côtés nord et sud des deux ailes ainsi étendues sont chacun dotés d’un corps de bâtiment central de forme ovale qui donne à leurs façades respectives leur aspect caractéristique. Et c’est ainsi que l’ensemble architectural du châteaua acquis son caractère monumental qui frappe le visiteur encore aujourd’hui (voir Sedlmaier/Pfister 1923, p. 11-25 et fig. 11-13 ; Hubala/Mayer/Mülbe 1984, p. 124-138 ; Schütz 1986, p. 45-47).
Expressément souhaité par le prince-évêque de Wurtzbourg, Johann Philipp Franz, tout comme par son cadet Frédéric Charles, alors en poste à Vienne – mais aussi et surtout par l’électeur de Mayence, leur oncle Lothar Franz von Schönborn –, le séjour de Neumann en France vise à soumettre son projet au jugement de ses prestigieux confrères français. Les Schönborn ont d’abord pensé au premier architecte du roi, Robert de Cotte. Mais au cours du voyage, l’attention de Neumann est aussi attirée, à Nancy, par la personne de Germain Boffrand, l’architecte de la maison des ducs de Lorraine que lui a également recommandé son confrère Philipp Christoph von Erthal. Finalement, Neumann sollicite les conseils de ses deux collègues français, et, début juillet 1724, Boffrand se rend même à Wurtzbourg et à Pommersfelden pour voir les deux châteaux et préciser ses idées sur le projet de la résidence. Les suggestions formulées à cette occasion peuvent être reconstituées à partir de divers documents : outre les lettres envoyées depuis la France par Neumann, nous disposons d’une correspondance avec et au sujet de Boffrand, ainsi que de divers plans de Neumann (pour plus de détails, voir ci-après la section « La source »). Toutefois, parmi les suggestions de ses homologues français qui ressortent de ces documents, seules certaines ont été reprises par Neumann, d’autres ayant été catégoriquement rejetées par l’architecte (voir Sedlmaier/Pfister 1923, p. 32-33 ; Brunel 1972 ; Hubala/Mayer/Mülbe 1984, p. 26-28 ; Fürst 2008, p. 40-43 ; Krause 2009). Le recours à Germain Boffrand pour faire contrepoids à Robert de Cotte se révèle être une opportunité que Neumann met instinctivement à profit pour mener à bien ses idées. En jouant, dans ses rapports avec les Schönborn, des propositions contradictoires de De Cotte et de Boffrand, Neumann réussit à battre ses commanditaires en usant, pour ainsi dire, de leurs propres armes ! Les recherches récentes s’accordent à voir la principale réussite de Neumann dans la souplesse avec laquelle il a su réagir à des conceptions architecturales et des projets parfois contradictoires, élaborés par ses confrères à Mayence, Vienne, Paris ou Nancy, tout au long des décennies de travaux de la résidence de Wurtzbourg. À chaque fois, il est parvenu à les intégrer à un plan global visuellement et fonctionnellement convaincant, qui répond en définitive à ses propres attentes. Les « méthodes de planification collectives » exposées par Richard Sedlmaier et Rudolf Pfister (cf. Sedlmaier/Pfister 1923, p. 13) ne décrivent donc pas de façon adéquate ce processus d’élaboration architectural, car il apparaît que Neumann a, à maintes reprises, réussi à conserver le contrôle de sa création et à façonner le bâtiment conformément à ses idées (à ce sujet, voir Hubala 1984 ; Hubala/Mayer/Mülbe 1984, p. 33-54 ; Schütz 1986, p. 45-46 et, de façon moins affirmative, Kummer 1987, p. 88). Souhaitée et approuvée par les différents membres de la maison Schönborn, une véritable fusion des conceptions architecturales qui ont alors cours à Vienne et à Paris est ainsi mise en œuvre par Neumann à Wurtzbourg. L’entreprise vise non seulement à présenter la principauté épiscopale de Wurtzbourg comme une composante importante de l’Empire, mais aussi comme un soutien fidèle et solide de la maison impériale, dans le vaste jeu de concurrence qui oppose alors les maisons régnantes d’Europe (voir Stephan 2002).
Vers la fin de sa vie, Balthasar Neumann constate à nouveau combien l’appréciation de son travail dépend des souverains en place. Quand, après la mort de Friedrich Karl von Schönborn en 1746, Anselm Franz von Ingelheim lui succède jusqu’en 1749, Neumann est démis de sa charge de directeur en chef des bâtiments. Libéré des obligations liées à sa fonction, il cherche à attirer l’attention de nouveaux commanditaires et élabore des plans ambitieux pour l’agrandissement de la Hofburg à Vienne (1746 et 1747) et pour le nouveau palais de la ville de Stuttgart (1747 et 1748-1749), en s’appuyant sur l’expérience acquise à Wurtzbourg. Mais ces propositions sont rejetées. Sous le règne du successeur de von Ingelheim, le prince-évêque Carl Philipp von Greiffenclau, Neumann retrouve son ancienne charge. Carl Philipp, qui règne jusqu’en 1754, doit son ascension au sein de l’archevêché de Mayence et du chapitre de la cathédrale de Wurtzbourg à ses liens étroits, y compris familiaux, avec la maison Schönborn. En confiant de 1750 à 1753 à Giovanni Battista Tiepolo la réalisation de la fresque du plafond de l’escalier, conçu par Balthasar Neumann, le nouveau souverain mène brillamment à son terme la politique artistique engagée par ses prédécesseurs avec la construction de la résidence, un projet à la mesure de leur position éminente vis-à-vis de l’empereur et du Saint-Empire. Cet escalier monumental à trois volées, qui conduit du vestibule central aux salles d’apparat, est la réalisation phare de la résidence. En 1735, au moment où ses plans se concrétisent, Neumann envisage de percer d’arcades les murs soutenant les rampes, des premières marches à la galerie supérieure pour donner plus de lumière et de légèreté à la vaste cage d’escalier. Mais l’idée est partiellement abandonnée, vraisemblablement avec l’approbation de Neumann lui-même : on opte finalement pour des murs aveugles, ce qui fait perdre en lumière et gagner en sobriété. Il s’agit avant tout de rendre la fresque confiée à Tiepolo plus visible pour le visiteur qui gravit les marches, autrement dit, de mieux mettre en scène ce couronnement visuel (voir Stephan 2002, vol. 1, p. 340 ; Hegener 2016, p. 63-64 ; Karlsen 2016, p. 278-319). Neumann avait conçu juste avant Wurtzbourg deux escaliers alternant des niveaux plus étroits et plus sombres avec d’autres plus spacieux et plus lumineux, la voûte constituant le point culminant de l’ensemble : au château de Sankt Damiansburg, résidence des princes-évêques de Spire à Bruchsal (1728-1731), et au château d’Augustusburg à Brühl, près de Bonn (1740-1746). À Wurtzbourg, une fois le palier atteint, le visiteur est amené à se retourner pour poursuivre son ascension, si bien que son regard se porte inévitablement vers la fresque du plafond. Le prince-évêque y apparaît dans un portrait en médaillon porté au ciel, symbole de son soutien à l’Empire. Celui-ci est représenté au centre de la composition par Apollon qui, nimbé par l’éclat du soleil impérial, dispense la paix en illuminant les allégories des quatre continents, disposées tout autour sur la voussure. Tiepolo a introduit une aimable plaisanterie picturale, en figurant aux pieds d’Europe, trônant sur son taureau, Neumann allongé sans cérémonie, tandis qu’un lévrier, chien de chasse par excellence, semble le renifler. La chasse est un privilège réservé à la noblesse et Neumann – bien que militaire et architecte méritant – n’a pas été anobli par son seigneur. Par cette allusion, le peintre souligne aux yeux de tous l’estime qu’il porte au maître d’œuvre (voir Bognár 2018, p. 212-213 ; Reinhard 2019, p. 446-447).
La source
Avec celui des œuvres d’Albrecht Dürer et de Karl Friedrich Schinkel, le fonds de documents écrits et dessinés par Balthasar Neumann est le plus important qu’on ait conservé d’un artiste allemand de l’époque moderne (voir Satzinger 2016a). L’ensemble des plans et des dessins parvenus jusqu’à nous comprend quelque 700 feuilles, dont l’essentiel est conservé au musée de Franconie – musée d’État d’art et d’histoire culturelle (Museum für Franken – Staatliches Museum für Kunst- und Kulturgeschichte), à la bibliothèque universitaire de Wurtzbourg et à la bibliothèque des musées d’État de Berlin (Kunstbibliothek der Staatlichen Museen zu Berlin, voir Hotz 1981, vol. I, p. 9). Ce fonds graphique inclut les 80 feuilles découvertes à la Bibliothèque nationale autrichienne à Vienne (Österreichische Nationalbibliothek Wien) et en cours de publication par Georg Satzinger de l’Institut d’histoire de l’art de l’université de Bonn (voir Satzinger 1992 et 2016a et b. ; voir aussi la section « État de la recherche » ci-après).
Adressées lors de son voyage en France à son seigneur et maître, le prince-évêque de Wurtzbourg Johann Philipp Franz von Schönborn, les dix-neuf lettres de Neumann, datées du 11 janvier au 14 avril 1723, comptent parmi ses écrits majeurs. Rendues accessibles ici pour la première fois sous forme numérique, accompagnées des pièces annexes et dessins correspondants de la main de l’architecte, elles appartenaient depuis très longtemps à l’ancienne principauté épiscopale et sont conservées aujourd’hui aux archives d’État de Wurtzbourg sous la référence « Bausachen 355/I », fol. 35-98. Les réponses et instructions reçues par Neumann du prince-évêque n’ont en revanche pas été conservées.
Les documents ont été foliotés au recto, par apposition d’un tampon au centre du bord inférieur de chaque feuille. Dans la présente édition, afin de rendre les correspondances plus claires, documents annexes et dessins ont été insérés immédiatement à la suite de la lettre concernée. Ce nouvel ordonnancement des 103 fac-similés numériques interrompt donc à plusieurs reprises la foliotation continue des feuilles :
- À la suite de la lettre du 15 février 1723 (fol. 52v), ont été ajoutés les deux premiers dessins de carrosses (en l’occurrence ceux d’une berline, fol. 56r-v).
- Après la lettre du 17 février 1723 (verso du fol. 54v) a été inséré le troisième dessin de carrosse qui occupe le recto du folio 57 ; le verso, vierge, n’a pas été reproduit.
- Après la lettre du 1er mars 1723 (fol. 69v), nous avons ajouté la lettre de recommandation du baron Karl von Pfütschner en faveur de Valentin Jamerey-Duval (fol. 67r–fol. 68v), également parvenue au prince-évêque Johann Philipp Franz von Schönborn par l’intermédiaire de Neumann (sur Jamerey-Duval, voir l’étude récente de Lüsebrink 2016).
- À la suite de la lettre du 29 mars 1723 (fol. 86v) a été placée la liste des dépenses et achats effectués par l’architecte (fol. 55r-v).
Il convient d’évoquer ici une lettre de l’ensemble qui n’a pas été incluse dans notre édition. Entre les envois de Neumann des 17 et 24 février, on trouve en effet une missive rédigée en italien (fol. 59r-61v). Datée du 23 février 1723, elle est adressée depuis Wurtzbourg à Don Bartolomeo Mariconi, consul général de l’empereur à Gênes. Son auteur est Henry Davenant, ambassadeur britannique dans la ville libre d’Empire de Francfort-sur-le-Main de 1715 à 1723. Danevant y prie Mariconi d’aider le prince-évêque de Wurtzbourg à établir des contacts en Italie avec des personnes comme le sculpteur génois Giovanni Baratta, susceptibles de le seconder dans l’achat de marbre. En raison de longues années de service en Italie, Davenant dispose d’un remarquable réseau de relations parmi ses collègues diplomates, dont le consul Mariconi. Parallèlement à ses fonctions à Francfort, le Britannique a aussi été accrédité à Florence, Parme, Modène et surtout Gênes, où il a été en poste, avec quelques interruptions, de 1716 à 1721 (voir Bittner/Groß/Latzke 1936, p. 182, 186, 191, 194 et 203 ; Groß/Hausmann/Kotasek et al. 1950, p. 148, 151, 154, 158 et 167). On ignore comment sa missive s’est retrouvée mêlée à celles envoyées par Neumann depuis Paris à son maître employeur. Le diplomate n’y est en outre jamais cité. Dans sa lettre du 7 février 1723, Neumann laisse simplement entendre qu’il veut obtenir des informations sur les meilleures carrières génoises de marbre blanc. Si la missive de Davenant mentionne Wurtzbourg comme lieu d’expédition, il est possible qu’il l’ait remise à Neumann à Paris, à la faveur d’une étape au cours d’un de ses allers-retours à Londres. Quoi qu’il en soit, le prince-évêque n’a manifestement pas fait suivre jusqu’à Gênes cette requête adressée à Bartolomeo Mariconi. En d’autres termes, Johann Philipp Franz von Schönborn ne s’en est pas servi. En raison de toutes ces incertitudes, nous ne l’avons donc pas intégrée dans la présente édition.
Neumann a utilisé deux papiers à lettres de formats différents, si bien que les dimensions des lettres varient entre (h. x l.) 22,5 x 17 cm (par exemple fol. 46-47) et 35,5 x 23 cm (par exemple fol. 50-52). Quant aux trois dessins de carrosses au crayon et à la plume, ils mesurent (h. x l.) respectivement 19,5 x 35 cm (fol. 56r-v) et 19,5 x 37 cm (fol. 57r). Les lettres sont rédigées à l’encre sur papier, en écriture cursive allemande, certaines expressions en langue étrangère étant toutefois citées en caractères latins. Quelques rares feuillets qui y sont joints présentent des croquis au crayon, certains à peine esquissés (fol. 37r-v), d’autres plus élaborés et assortis d’annotations (fol. 44r-v). Certaines feuilles présentent aussi des inscriptions au crayon d’une autre main (probablement celle d’un archiviste), telles des numérotations ou des informations complémentaires (« ad » pour « addendum », etc.). Ces ajouts ont, dans la mesure du possible, été pris en compte dans la transcription et l’encodage du texte.
Balthasar Neumann rend compte dans ses lettres de son voyage aller vers Paris où il arrive fin janvier après avoir fait halte à Mannheim (du 5 au 12 janvier 1723), Philippsburg (le 12 janvier), Bruchsal (les 13 et 14 janvier), Kehl (le 15 janvier), Strasbourg (du 15 au 18 janvier), Saverne (le 18 janvier), Lunéville (le 19 janvier) et Nancy (du 20, sans doute jusqu’au 23 janvier) (sur le périple, voir la carte interactive). Ces étapes sont mises à profit pour étudier de près plusieurs châteaux, dont certains sont en construction. Arrivé à destination et comme il en a reçu mission, Neumann sollicite à Versailles les conseils du premier architecte du roi Robert de Cotte auquel il expose l’état d’avancement des plans de la résidence de Wurtzbourg. Il ne tarde toutefois pas à prendre contact avec l’architecte Germain Boffrand, qui lui a été recommandé par le duc Léopold Ier de Lorraine. Boffrand est chargé depuis 1711 de la transformation du château de Lunéville en palais ducal (voir Tronquart 1991 ; Friedrich 2006, p. 59) et, en 1724, il effectue un voyage en Franconie (voir les nombreuses sources écrites sur ce périple dans Freeden 1955, p. 917-1091, et sous forme d’extraits traduits en français dans Krause 2009). Témoignage de ses échanges avec ses deux confrères français, les lettres de Neumann ne portent pas uniquement sur les plans de Wurtzbourg. Elles montrent que la mission de l’architecte sert aussi à d’autres fins (voir Hotz 1981, vol. 1, p. 20) :
- le recrutement d’artisans français (tapissiers, doreurs, menuisiers, serruriers, sculpteurs) ;
- l’achat d’objets satisfaisant aux hautes exigences de la Cour (dont trois carrosses et plusieurs harnais) ;
- enfin, l’acquisition de pièces d’artisanat d’art choisies avec soin pour servir de modèles aux artisans locaux (comme des miroirs, des crucifix de table ou des chenets).
Effectué à la demande du prince-évêque Johann Philipp Franz von Schönborn, l’achat de carrosses occupe une place importance dans les lettres de Neumann, qui y a manifestement consacré beaucoup de temps. Le sujet mérite donc que nous nous y arrêtions un instant, en nous appuyant sur les études de Rudolf H. Wackernagel (Wackernagel 1982 et 2002) :
- Dans sa lettre du 15 février, Neumann mentionne une berline, en l’occurrence une voiture de ville pouvant être transformée en coupé pour deux personnes. Comme nous l’avons déjà mentionné, il joint à sa lettre deux dessins figurant au recto et au verso du folio 56. Il y donne les dimensions du véhicule en pieds et pouces de Wurtzbourg (un pied correspond à 20,2 cm et un pouce à 1,8 cm). Ces relevés précis nous permettent de dire qu’il mesurait en tout 3,43 m de long pour de 1,26 m de haut ; les roues présentant un diamètre de 54,8 cm à l’avant et de 122 cm à l’arrière. Cependant, la voiture en question n’a pas été achetée. On suppose que ces dessins schématiques et leurs mesures constituent plutôt une esquisse destinée à la fabrication d’une copie par des carrossiers franconiens.
- Dans la lettre suivante, en date du 17 février, Neumann décrit en détail trois voitures sur quatre mises en vente. Elles sont la propriété de l’ancien ambassadeur extraordinaire d’Espagne, José Maria Téllez-Girón, duc d’Osuna, accrédité auprès de la cour de France du 29 octobre 1721 au 24 mars 1722 (voir Groß/Hausmann/Kotasek et al. 1950, p. 386). Le troisième dessin, au recto du folio 57, représente justement l’un de ces véhicules, en l’occurrence un carrosse d’apparat. Une fois de plus, Neumann donne de nombreuses mesures : par exemple, la distance entre les deux essieux de 14 pieds et 4 pouces (autrement dit 3,75 m).
- Le 16 mars, Neumann achète ces trois véhicules ainsi que dix harnais pour la somme de 19 000 livres. Le 26 mars, le tout est expédié de Paris à Strasbourg, puis transporté par bateau jusqu’à Mayence.
Neumann profite de ses nombreux séjours officiels à Versailles pour visiter le palais et ses jardins, mais aussi le château de plaisance de Marly, tout proche, et surtout la machine de Marly, cette station de pompage sur la Seine que la plupart des voyageurs de l’époque considèrent comme un chef-d’œuvre d’ingénierie hydraulique (voir les passages afférents chez Pitzler, Harrach, Corfey, Sturm et Knesebeck dans la présente édition). En Île-de-France, il se rend dans plusieurs châteaux et domaines de plaisance dont, de façon attestée, ceux de Saint-Cloud, Meudon, Issy et Fontainebleau. À Paris, il visite, entre autres, des hôtels particuliers et le Palais-Royal. Si dans ses lettres il ne s’étend guère sur l’opinion qu’il a de l’architecture française, quelques passages épars nous donnent toutefois un aperçu de sa vision de l’art français, et notamment des dernières tendances en matière de décor intérieur (pour plus de détails, voir ci-après la section « L’essentiel en un clic »).
Neumann entame son voyage de retour en quittant Paris le 15 avril 1723. Il regagne Wurtzbourg via Cambrai, Tournay, Bruxelles, Schupbach, Wetzlar et Francfort-sur-le-Main (sur le périple, voir la carte interactive). Comme en témoignent plusieurs passages de précédentes lettres à son maître, il aurait aimé faire un détour par Amsterdam et même par l’Angleterre, mais Johann Philipp Franz von Schönborn n’accède pas à sa demande. Le 13 avril, Neumann a encore le loisir d’admirer les fontaines du jardin de Versailles, remises en service après la pause hivernale, ce qui ne manque pas de le réjouir. Il s’empresse même de revoir une troisième fois la machine de Marly à la veille de son départ.
Les lettres écrites par Balthasar Neumann au cours de son voyage en France en 1723 sont depuis longtemps reconnues et considérées par les historiens de l’art comme une source importante (voir Keller 1895, p. 12-14 ; Keller 1896, p. 8-10 et 57-59). Une première édition, quasi complète, a été publiée par Lohmeyer en 1911 (voir Lohmeyer 1911), suivie dix ans plus tard d’une édition des lettres adressées par Neumann à Friedrich Karl von Schönborn (voir Lohmeyer 1921). Intégrant les transcriptions de ces lettres et de nombreux autres documents qui leur sont liés, la vaste somme réunie par Max von Freeden sous le titre Quellen zur Geschichte des Barock in Franken unter dem Einfluss des Hauses Schönborn (Source sur l’histoire du baroque en Franconie, sous l’influence de la maison Schönborn) constitue un autre ouvrage de référence (voir Freeden 1955). Notre édition s’appuie sur ces travaux fondateurs, les transcriptions de Lohmeyer et de Freeden ayant été vérifiées, corrigées et complétées à partir des originaux. Les nombreuses annotations des dessins de carrosses (fol. 56r-v et 57r) ont ainsi été ajoutées. Elles ne figurent que partiellement dans le recueil de Freeden et Joachim Hotz a été le premier à en livrer une transcription complète (voir Hotz 1981, vol. 1, p. 21-22, note 64). Elles ont aussi fait l’objet de citations partielles dans des études anciennes ou plus récentes (voir en particulier Hirsch 1912, p. 32-33 ; Wackernagel 2002, p. 284-285). Cette édition donne donc pour la première fois accès en traduction française à l’ensemble les lettres, à leurs pièces annexes et aux annotations des dessins (pour les extraits isolés en traduction française, voir Krause 2009). Leur traduction dans un français moderne et fluide a pour principal objet d’en faciliter l’accès : comme certains passages sont difficiles à comprendre, notamment en raison de l’orthographe singulière de Neumann, les traductions de ces passages comprennent nécessairement une part d’interprétation. Le tableau de concordance suivant permet de retrouver les différentes lettres dans les éditions allemandes précédentes.
Lettre (1723) | Lohmeyer 1911 | Freeden 1955 | Krause 2009 | ARCHITRAVE (vues) | |
---|---|---|---|---|---|
1 | 11 janvier | p. 5-7 | Nr. 1017, p. 769-771 | 1-7 | |
2 | 17 janvier | p. 8-10 | Nr. 1022, p. 774-777 | 8-14 | |
3 | 21 janvier | p. 10-12 | Nr 1023, p. 777-779 | p. 190-191 | 15-19 |
4 | 7 février | p. 12-14 | Nr. 1026, p. 780-783 | p. 192 | 20-27 |
5 | 15 février | p. 14-17 | Nr. 1029, p. 784-787 | p. 193-194 et 197 | 28-35 |
6 | 17 février | p. 17-19 | Nr. 1032, p. 789-791 | 36-40 | |
7 | 24 février | p. 19 | Nr. 1034, p. 791-792 | 41-42 | |
8 | 1 mars | p. 19-21 et p. 55, note 54 | Nr. 1036, p. 793-795 et p. 794, note 1 | p. 201-202 | 43-50 |
9 | 8 mars | p. 21-24 | Nr. 1037, p. 795-798 | p. 194-195 | 51-56 |
10 | 10 mars | p. 24-27 | Nr. 1038, p. 799-801 | p. 196 | 57-61 |
11 | 15 mars | p. 27-29 | Nr. 1039, p. 802-804 | p. 197 | 62-66 |
12 | 16 mars | p. 29f. | Nr. 1040, p. 804-805 | 67-69 | |
13 | 22 mars | p. 30-32 | Nr. 1041, p. 805-807 | p. 197 | 70-73 |
14 | 24 mars | p. 32-34 | Nr. 1042, p. 807-809 | 74-76 | |
15 | 29 mars | p. 34-35 | Nr. 1044, p. 810-813 | 77-82 | |
16 | 3 avril | p. 35-39 | Nr. 1046, p. 813-818 | 83-90 | |
17 | 7 avril | p. 40-42 | Nr. 1052, p. 821-824 | 91-95 | |
18 | 12 avril | p. 42-44 | Nr. 1055, p. 826-828 | 96-100 | |
19 | 14 avril | p. 44f. | Nr. 1057, p. 828-829 | 101-103 |
En complément des documents mentionnés, il existe un ensemble de plans qui nous donnent un aperçu des propositions de Robert de Cotte et de Germain Boffrand, les deux confrères français consultés par Balthasar Neumann :
- Dans le fonds d’archives de Robert de Cotte se trouvent quatre plans manifestement dessinés par Neumann, où ont été introduites les suggestions d’amélioration du premier architecte du roi, certaines sous forme de traits esquissés, d’autres en lignes mises au propre, plus nettes, bien que schématiques : Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes et photographie, RÉSERVE HA-18 (C, 16)-FT 6, n° 1193, 1194, 1195 et 1196 ; voir Fossier 1997, p. 658-659, section 359, n° 1193-1196.
- Deux élévations des façades sur jardin de la résidence de Wurtzbourg réalisées par Robert de Cotte (ou par son cabinet) ont aussi été conservées. Elles diffèrent principalement par le nombre de travées des pavillons latéraux : (1) Berlin, Staatliche Museen – Preußischer Kulturbesitz, Kunstbibliothek, HdZ 4682 ; voir Krause 2009, p. 196, fig. 50 ; (2) Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes et photographie, RESERVE HA-18 (C, 16)-FT 6, n° 1197 ; voir Sedlmaier/Pfister 1923, p. 30, fig. 30 ; Fossier 1997, p. 658-659, article 359, n° 1197.
- Les propositions de Germain Boffrand pour la résidence de Wurtzbourg se retrouvent pour partie dans les plans publiés dans son Livre d’architecture des décennies après son voyage en Franconie : Boffrand 1745, p. 91-96, pl. LV-LX.
- Une autre vue de la façade sur jardin de la résidence due à Boffrand a également été conservée. Différente de celle publiée dans le Livre d’architecture, elle tient davantage compte des étages intermédiaires souhaités par Neumann : Berlin, Staatliche Museen – Preußischer Kulturbesitz, Kunstbibliothek, HdZ 4683 ; voir Krause 2009, p. 198, ill. 53.
Nous avons déjà évoqué la manière dont Neumann a su se servir des corrections et améliorations suggérées par ses confrères français de renom. Il en a repris quelques-unes pour s’en inspirer, mais en a écarté la plupart, jouant intelligemment des propositions de Robert de Cotte contre celles de Germain Boffrand, pour imposer ses propres conceptions aux membres de la maison Schönborn :
- L’innovation sans doute la plus importante, conséquence du séjour de Neumann en France, a consisté à renoncer à la construction de deux escaliers en miroir partant du vestibule, au centre du bâtiment, pour se limiter, conformément à la proposition de De Cotte, à une seule cage d’escalier. La suggestion d’encadrer l’escalier de galeries sur toute sa hauteur – comme Neumann a pu le voir au château de Saverne et en accord avec les modifications dessinées de la main de De Cotte sur les plans mentionnés ci-dessus – a également été mise en œuvre à Wurtzbourg (voir Karlsen 2016, p. 280).
- Neumann a toutefois catégoriquement rejeté l’idée de placer l’église du palais à l’endroit initialement prévu pour le deuxième escalier, ainsi que le souhaitait De Cotte, et a écarté la proposition de la maintenir proche du centre de l’édifice. L’Allemand a habilement tiré argument de l’emplacement de la nouvelle église du château de Versailles, elle aussi située loin des appartements privés du roi, entre le corps de logis principal et l’aile du Nord. En définitive, l’église de la résidence de Wurtzbourg a été placée à l’angle extérieur de l’aile sud. L’idée de Boffrand de l’édifier dans le corps de bâtiment séparant les deux cours de l’aile sud a probablement servi d’étape intermédiaire décisive dans le processus de planification (voir Boffrand 1745, p. 92 et pl. LV).
- Pour des raisons fonctionnelles, on tient à Wurtzbourg à une élévation sur quatre niveaux, avec une mezzanine au-dessus du rez-de-chaussé et un étage-attique au-dessus de l’étage noble, une disposition considérée par les Français comme « trop italienne ». Mais comme la résidence doit également abriter les administrations de la principauté épiscopale, il faut y disposer d’un nombre suffisant de pièces. Pour cette raison, on trouve une solution intermédiaire en abandonnant pour les trois côtés de la cour d’honneur et pour la façade sur jardin du corps de logis central la distribution en quatre étages au profit d’une répartition en trois étages, ou en dissimulant partiellement les mezzanines au regard. Ici aussi Boffrand se montre plus enclin au compromis que son confrère de Versailles et propose des solutions d’élévation qui permettent à Neumann de ne jamais renoncer totalement à ses idées.
- Sur les plans de la résidence que lui soumet Neumann, De Cotte propose de réduire les cours intérieures arrière (nord et sud). Il s’agit de mieux répondre aux impératifs de commodité en répartissant en espaces plus nombreux, quoique plus petits, les pièces d’apparat et celles des appartements privés du prince-évêque. Cependant, sa proposition se heurte à l’incompréhension de son confrère allemand (voir Hansmann 1986, p. 40). Neumann tient à ce que les cours intérieures restent largement ouvertes à la circulation des résidents et des nombreux fonctionnaires de la Cour, ainsi qu’à la livraison de marchandises (comme le vin et le bois de chauffage). Une fois de plus, Boffrand fait une proposition répondant aux impératifs de son jeune confrère franconien : il ne réduit pas la superficie des cours intérieures arrière et les aligne dans l’axe des deux cours avant (voir Boffrand 1745, p. 92 et pl. LV).
Si les chercheurs ne s’accordent pas tous quant à la part revenant au Français dans le bâtiment final, un consensus se dégage des études récentes sur le fait que Neumann est bien resté maître de la construction et a su intégrer les apports extérieurs pour aboutir à une synthèse cohérente d’un point de vue fonctionnel et esthétique (voir Sedlmaier/Pfister 1923, p. 32-33 ; Hubala/Mayer/Mülbe 1984, p. 26-28 ; Brunel 1972 ; Fürst 2008, p. 40-43 ; Krause 2009).
Enfin, il convient aussi de noter que le voyage de Balthasar Neumann a eu lieu à un moment où la diplomatie française se détourne d’une politique ouvertement hostile à l’espace germanique. Avec le cardinal Guillaume Dubois, premier ministre du Régent à partir de 1718, on assiste à un changement de cible. L’inimitié envers les Habsbourg, principaux adversaires du royaume, qui prévalait sous Louis XIV jusqu’à la fin de la guerre de la Succession d’Espagne, se retourne contre la Grande-Bretagne, nouveau sujet de préoccupation diplomatique. La France ne cherche plus à contrer les revendications de suprématie de l’empereur à l’intérieur du Saint-Empire (voir Ulbert 2004, p. 60 et 373). On ne semble plus tenir rigueur aux Schönborn de leur orientation pro-impériale et de leur appartenance au camp des Habsbourg. Quoi qu’il en soit, leur positionnement n’aura pas fait obstacle à l’accueil bienveillant et accommodant réservé en France à l’architecte de leur maison, Balthasar Neumann.
État de la recherche
Erich Hubala a joué un rôle essentiel dans la compilation et l’évaluation des anciennes recherches sur Balthasar Neumann, en particulier celles menées sur son travail d’architecte en chef de la résidence de Wurtzbourg, de la fin du XIXe siècle aux années 1980 (voir Hubala/Mayer/Mülbe 1984, p. 33-54). Hubala distingue plusieurs phases dans l’historiographie, dont chacune a donné lieu à une appréciation différente de la contribution de Neumann à la planification et à la réalisation du palais :
- Cornelius Gurlitt identifie une proximité stylistique entre Balthasar Neumann et Johann Lucas von Hildebrandt (voir Gurlitt 1889, p. 338-348, en particulier p. 340-341) et Philipp Joseph Keller souligne l’importance des Schönborn dans la conception de la résidence de Wurtzbourg (voir Keller 1895, p. 19-21 ; Keller 1896, p. 63 et 65). Cependant, les auteurs reconnaissent tous deux le talent de l’architecte franconien et lui attribuent les plans de construction du palais.
- C’est seulement dans les années précédant la Première Guerre mondiale que l’on prend conscience de l’influence décisive d’autres architectes, Hildebrandt à Vienne mais aussi et avant tout Maximilian von Welsch à Mayence, sans oublier les Schönborn, en tant que maîtres d’ouvrage de Wurtzbourg (voir Lohmeyer 1911 ; Hirsch 1912 ; Mader 1915 ; Eckert 1917). Dans la vaste étude monographique de Richard Sedlmaier et Rudolf Pfister, parue en 1923, la part attribuée à Neumann est minimisée à tel point qu’il n’apparaît plus que comme un simple maître d’œuvre chargé de compiler et d’exécuter différentes propositions.
- Cette thèse est remise en cause après la Seconde Guerre mondiale : les publications présentées à l’occasion du 300e anniversaire de la naissance de Balthasar Neumann en 1987 marquent un pas décisif (voir Hubala/Mayer/Mülbe 1984 ; Hansmann 1986 ; Schütz 1986). Elles rejettent l’hypothèse d’un « collectif d’architectes » ayant présidé à l’élaboration des plans de la résidence. La synthèse de toutes les idées collectées est largement restée, et ce dès le début, aux mains de Neumann. Son principal mérite est d’être parvenu à tenir compte de l’ensemble des suggestions extérieures, souvent hétérogènes, pour aboutir à une proposition d’ensemble cohérente.
Après le renouveau des travaux à la fin des années 1980, la recherche sur Neumann s’est assoupie. Aucune étude exhaustive n’a vu le jour, exception faite des nouvelles éditions, en 1999 et 2003, de la très sérieuse monographie de Wilfried Hausmann parue en 1986. Au cours des deux dernières décennies, plusieurs études plus spécialisées ont toutefois été publiées. Elles mettent en lumière différents aspects de l’œuvre et de l’influence de l’architecte franconien et, ce faisant, explorent la circulation des connaissances, les transferts culturels européens et les conditions politiques qui ont déterminé sa production. Nous nous limiterons ici à quelques exemples :
-
Jarl Kremeier a analysé la composition de la bibliothèque de Neumann, dont son fils avait hérité avant qu’elle ne soit mise aux enchères au début du XIXe siècle (voir Kremeier 2015). Dans son étude du voyage de Neumann à Paris, Verena Friedrich s’est interrogée sur les guides de voyage que l’architecte a pu utiliser et a émis l’hypothèse qu’il se serait servi de celui de Johann Christoph Nemeitz, publié pour la première fois en 1718 sous le titre Séjour de Paris, oder getreue Anleitung, welchergestalt Reisende von Condition sich zu verhalten haben, wenn sie ihre Zeit und Geld nützlich und wohl zu Paris anwenden wollen [...]. Cet ouvrage a fait rapidement l’objet de rééditions ainsi que de réimpressions non autorisées (voir Nemeitz 1718 ainsi que Nemeitz 1727 pour l’édition française non autorisée Séjour de Paris, c’est-à-dire, instructions fidèles pour les voyageurs de condition, comment ils se doivent conduire, s’ils veulent faire un bon usage de leur temps et argent [...]). Selon Verena Friedrich, Neumann a visité certains lieux dans l’ordre suggéré par Nemeitz. Jarl Kremeier a toutefois précisé que le livre de Nemeitz ne faisait pas partie de la bibliothèque au moment de la vente aux enchères, mais qu’on y trouvait en revanche le célèbre guide de Paris de Germain Brice, en l’occurrence la 6e édition de 1713 (voir Friedrich 2006, p. 51 ; Kremeier 2015, p. 208).
-
Récemment, Ulrich Fürst et Katharina Krause se sont penchés sur la question du transfert des modèles d’architecture française dans le cadre du voyage de Neumann en France (voir Fürst 2008 ; Krause 2009). Dans son étude approfondie du décor intérieur de la résidence de Wurtzbourg, Verena Friedrich souligne notamment que l’abandon, approuvé par Neumann, du style Régence au profit du style Rococo dans le vocabulaire ornemental des pièces d’apparat, à partir de l’été 1740, ne peut s’expliquer que par une familiarisation accrue avec des décors français contemporains. Cette évolution découlerait directement de la venue du sculpteur français Jean-Gaspard Callion dans l’atelier wurtzbourgeois du sculpteur ornemental Ferdinand Hundt, mais aussi indirectement de l’accès à plusieurs séries d’estampes du graveur et peintre d’ornements français Jacques de Lajoüe. Par la suite, le stucateur Antonio Bossi, intervenant à Wurtzbourg, accentuera fortement les volumes des coquillages de ses décors rocailles (voir Friedrich 2004, p. 214-215 et 453).
-
Les dimensions politiques et iconographiques des fresques de la résidence de Wurtzbourg ont été analysées de manière approfondie par Peter Stephan, qui y a identifié la prétention des Schönborn à se poser en dirigeants du parti fidèle à l’empereur au sein de la communauté des États du Saint-Empire (Stephan 2002). Dans sa thèse d’habilitation puis dans un essai, Johannes Süßmann a montré de manière convaincante comment Johann Philipp Franz von Schönborn ne cherche rien moins que la suppression des privilèges des ordres et un renforcement de son pouvoir (absolu) sur ses sujets. Pour ce faire, il s’appuie sur une politique de bâtisseur urbaniste, en se dotant entre autres d’une administration des bâtiments efficace et toujours plus puissante, une entreprise pour laquelle Neumann lui prête volontiers main forte (voir Süßmann 2007a et 2007b). Récemment, Anna-Victoria Bognár a procédé à un nouvel examen critique des relations de travail entre l’architecte et ses employeurs de la maison Schönborn. Elle a ainsi montré, en allant encore plus loin que Süßmann ou Kummer (voir Kummer 2009) dans ses conclusions, combien ces derniers considèrent Neumann comme un simple exécutant chargé de satisfaire leurs desseins et le traitent en conséquence (voir Bognár 2018, p. 202, note 18 ; sur la subordination des architectes à leurs maîtres durant l’époque moderne, voir Erben 2012, p. 117).
Mentionnons pour conclure deux projets de recherche sur Balthasar Neumann en cours d’achèvement : Georg Satzinger (université de Bonn) publiera bientôt son édition critique « Residenzschlösser in verschiedenen Städten des südlichen Teutschlands ». Ein Konvolut aus Balthasar Neumanns zeichnerischem Nachlass in der Österreichischen Nationalbibliothek Wien (« Châteaux résidentiels dans différentes villes d’Allemagne du sud ». Un ensemble de dessins de Balthasar Neumann à la Bibliothèque nationale d’Autriche de Vienne.). Les réalisations de Neumann ainsi que ses références artistiques et ses sources d’inspiration y seront abordées et approfondies. Dans le cadre de son projet Die Genese der Würzburger Residenz und ihrer Ausstattung von 1719-1779 (La genèse de la résidence de Würzburg et de son aménagement intérieur de 1719 à 1779), Stefan Kummer (Julius-Maximilian-Universität de Wurtzbourg) travaille depuis longtemps à un réexamen de l’histoire de la planification et de la construction de la résidence.
L’essentiel en un clic
Dans sa lettre du 17 janvier 1723, Neumann décrit un mécanisme de fermeture par crémone (tringle), où une béquille (poignée) centrale permet d’actionner simultanément et sans effort plusieurs tringles coulissantes. Ce système pour fermer portes et fenêtres avait été introduit à la fin du XVIIe siècle. Manifestement, Neumann ne le connaissait pas encore.
En Alsace, à la frontière de la Lorraine, Neumann visite le château de Saverne et en livre une description détaillée, accompagnée en annexe de deux esquisses du plan de l’édifice. À la fin de la même lettre, envoyée depuis Nancy le 21 janvier 1723, il évoque aussi brièvement le château de Lunéville, résidence des ducs de Lorraine (pour les récits contemporains de voyage en Lorraine, voir Garms 2009). Neumann y est frappé par la disposition particulière du vestibule ouvert, tel un arc de triomphe à trois arches de même hauteur, orné de quatre colonnes colossales libres, qui marque le passage entre la cour d’honneur et le jardin. Le motif des trois arches de même hauteur pourrait l’avoir inspiré pour le plan de la façade sur cour de la résidence de Wurtzbourg.
Neumann met à profit les réseaux des Schönborn pour se faire introduire auprès du cardinal de Rohan (Armand-Gaston-Maximilien de Rohan-Soubise), qui à son tour lui permet d’avoir accès au premier architecte du roi, Robert de Cotte (lettre de Paris du 15 février 1723).
Neumann décrit avec éloquence à son maître les dernières tendances des décors intérieurs français : sont privilégiés les lambris blancs aux cadres et aux motifs ornementaux rehaussés d’or, dont en particulier les treillis (qu’il appelle « mosaïque ») ; les « cheminées à la royale » avec leurs grands miroirs en trumeaux sont aussi en vogue, les glaces étant volontiers placées un peu partout. Neumann précise qu’il s’est efforcé de dessiner tout ce qui ne pouvait être obtenu sous forme de gravures (lettre de Paris du 1er mars 1723).
Avec l’habileté de négociateur d’un diplomate, le jeune architecte laisse entendre dans ses lettres à son seigneur et employeur Johann Philipp Franz von Schönborn que, lors de ses entretiens avec Robert de Cotte, il ne s’est pas opposé aux suggestions de son interlocuteur, mais il indique clairement au prince quelles sont les interventions (pour lui inacceptables) que ces propositions de changement impliquent (lettre de Paris du 8 mars 1723).
Chargé d’acheter une ou plusieurs voitures pour son maître, Neumann réalise trois dessins abondamment annotés de ces véhicules et de leurs équipements (lettres de Paris des 15 et 17 février 1723). Le troisième dessin en particulier, joint à la lettre du 17 février, est peu connu. Une liste d’achats jointe à sa lettre de Paris du 29 mars fournit aussi des informations sur ce que Neumann a rapporté de Paris.
Bibliographie
Bittner/Groß/Latzke 1936 : Repertorium der diplomatischen Vertreter aller Länder seit dem Westfälischen Frieden (1648), vol. I, 1648-1715, sous la dir. de Ludwig Bittner et Lothar Groß, avec la collaboration de Walther Latzke, Oldenburg et Berlin, Gerhard Stalling, 1936.
Boffrand 1745 : Germain Boffrand, Livre d’architecture contenant les principes généraux de cet art et les plans, élévations et profils de quelques-uns des bâtimens faits en France & dans les pays étrangers, (édition en français et latin), Paris, Guillaume Chevalier père, 1745. https://bibliotheque-numerique.inha.fr/idurl/1/5052.
Bognár 2018 : Anna-Victoria Bognár, « Der Architekt Balthasar Neumann bei Hof: zur Beziehung von Bauexperte und Dienstherr im 18. Jahrhundert », dans Höfe und Experten: Relationen von Macht und Wissen in Mittelalter und Früher Neuzeit, éd. par Marian Füssel, Antje Kuhle et Michael Stolz, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2018, p. 199-217.
Brunel 1972 : Georges Brunel, « Würzburg. Les contacts entre Balthazar Neumann et Robert de Cotte », dans Évolution générale et développements régionaux en histoire de l’art. Actes du XXIIe Congrès international d’histoire de l’art, éd. par György Rózsa, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1972, vol. 2, p. 115-120.
Dombrowski/Uluçam 2020 : « Der Arbeit die Schönheit geben ». Tiepolo und seine Werkstatt in Würzburg, éd. par Damian Dombrowski et Aylin Uluçam, cat. exp. (Wurtzbourg, Martin von Wagner Museum der Universität Würzburg en collaboration avec le Museum für Franken, 2020-2021), Munich, Deutscher Kunstverlag, 2020.
Eckert 1917 : Georg Eckert, Balthasar Neumann und die Würzburger Residenzpläne: ein Beitrag zur Entwicklungsgeschichte des Würzburger Residenzbaues, Strasbourg, Heitz, 1917, coll. « Studien zur deutschen Kunstgeschichte*»*, vol. 203.
Erben 2012 : Dietrich Erben, « Architektur als öffentliche Angelegenheit – Ein berufssozilogisches Porträt des Architekten im Barock », dans Der Architekt. Geschichte und Gegenwart eines Berufsstandes, éd. par Winfried Nerdinger, cat. exp. (Munich, Architekturmuseum der TU München in der Pinakothek der Modern, 2012/13), 2 vol., Munich, Londres, New York, Prestel, 2012, vol. 1, p. 105-119.
Fossier 1997 : François Fossier, Les dessins du fonds Robert de Cotte de la Bibliothèque nationale de France : architecture et décor, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1997, coll. « Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome », vol. 293.
Freeden 1955 : Quellen zur Geschichte des Barocks in Franken unter dem Einfluss des Hauses Schönborn, 1re partie : Die Zeit des Erzbischofs Lothar Franz und des Bischofs Johann Philipp Franz von Schönborn 1683-1729, 2 vol., vol. 2, éd. par Max H. von Freeden, Wurtzbourg, Schöningh, 1955.
Friedrich 2004 : Verena Friedrich, Rokoko in der Residenz Würzburg. Studien zu Ornament und Dekoration des Rokoko in der ehemaligen fürstbischöflichen Residenz zu Würzburg, Munich, Bayerische Schlösserverwaltung, 2004, coll. « Forschungen zur Kunst- und Kulturgeschichte », vol. 9.
Friedrich 2006 : Verena Friedrich, « Die Parisreise Balthasar Neumanns zu Anfang des Jahres 1723 », Mainfränkisches Jahrbuch für Geschichte und Kunst, n° 58, 2006, p. 45-82.
Fürst 2008 : Ulrich Fürst, « „Ich finde viele Sachen, die sehr nutzlich sein“ (je trouve de nombreuses choses très utiles) – Le rôle des modèles français dans l’architecture profane baroque en Bavière et en Franconie », dans Art français et art allemand au XVIIIe siècle : regards croisés, actes de colloque, École du Louvre, 6 et 7 juin 2005, éd. par Patrick Michel, Paris, École du Louvre, 2008, coll. « Rencontres de l’École du Louvre », vol. 20, p. 35-49.
Garms 2009 : Jörg Garms, Lothringen in der Reiseliteratur des 18. Jahrhunderts, in : Franz Stephan von Lothringen und sein Kreis / L’empereur François Ier et le réseau lorrain / L’imperatore Francesco I e il circolo lorenese, éd. par Renate Zedinger et Wolfgang Schmale, Bochum, Winkler, 2009, coll. « Jahrbuch der Österreichischen Gesellschaft zur Erforschung des achtzehnten Jahrhunderts », vol. 23, p. 41-50.
Groß/Hausmann/Kotasek et al. 1950 : Repertorium der diplomatischen Vertreter aller Länder seit dem Westfälischen Frieden (1648), vol. 2 : 1716-1763, sous la dir. de Friedrich Hausmann et Leo Santifaller et avec la collaboration de Lothar Groß et Edith Kotasek, Zurich, Fretz & Wasmuth, 1950.
Gurlitt 1889 : Cornelius Gurlitt, Geschichte des Barockstiles und des Rococo in Deutschland, Stuttgart, Ebner & Seubert, 1889, coll. « Geschichte der neueren Baukunst », vol. 5, 2e section, 2e partie.
Hansmann 1986 : Wilfried Hansmann, Balthasar Neumann. Leben und Werk, Cologne, DuMont, 1986, coll. « DuMont Taschenbücher », vol. 184 [nouvelles éditions en 1999 et 2003].
Hansmann 2020 : Wilfried Hansmann, « Ein unbekanntes Bildnis des Baumeisters Balthasar Neumann », In situ, n° 12, 2020, cahier 1, p. 93-102.
Hegener 2016 : Nicole Hegener, « Tiepolo architetto e Neumann pittore : il “problema“ dell’illuminazione dello scalone della Residenz di Würzburg », Ricche minere, n° 3, 2016, cahier 5, p. 57-73.
Hirsch 1912 : Fritz Hirsch, Das sogenannte Skizzenbuch Balthasar Neumanns. Ein Beitrag zur Charakteristik des Meisters und zur Philosophie der Baukunst, Heidelberg, Winter, 1912, coll. « Zeitschrift für Geschichte der Architektur », supplément 8.
Hotz 1981 : Joachim Hotz, Das “Skizzenbuch Balthasar Neumanns“ (Universitätsbibliothek Würzburg, Delin, III). Studien zur Arbeitsweise des Würzburger Meisters und zur Dekorationskunst im 18. Jahrhundert, 2 vol., Wiesbaden, Reichert, 1981.
Hubala 1984 : Erich Hubala, « Genie, Kollektiv und Meisterschaft – zur Autorenfrage der Würzburger Residenzarchitektur », dans Martin Gosebruch zu Ehren. Festschrift anlässlich seines 65. Geburtstages am 20. Juni 1984 [Mélanges en l’honneur de Martin Gosebruch, à l’occasion de son 65e anniversaire, 20 juin 1984], Munich, Hirmer, 1984, p. 157-170.
Hubala 1989 : Erich Hubala, « Die Grafen von Schönborn als Bauherren », dans Die Grafen von Schönborn : Kirchenfürsten, Sammler, Mäzene, éd. par Gerhard Bott, cat. exp. (Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, 1989), Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, 1989, p. 24-52.
Hubala/Mayer/Mülbe 1984 : Erich Hubala et Otto Mayer, Die Residenz zu Würzburg, clichés de Wolf-Christian von der Mülbe, Wurtzbourg, Arena, 1984.
Karlsen 2016 : Anja Karlsen, Das mitteleuropäische Treppenhaus des 17. und 18. Jahrhunderts als Schaubühne repräsentativer Inszenierung: Architektur, künstlerische Ausstattung und Rezeption, Petersberg, Michael Imhof Verlag, 2016.
Keller 1895 : Philipp Joseph Keller, Balthasar Neumann : eine Studie zur Kunstgeschichte des 18. Jahrhunderts, Munich, thèse, 1895.
Keller 1896 : Philipp Joseph Keller, Balthasar Neumann : Artillerie- und Ingenieur-Obrist, Fürstlich Bambergischer und Würzburger Oberarchitekt und Baudirektor. Eine Studie zur Kunstgeschichte des 18. Jahrhunderts, Wurtzbourg, Bauer, 1896.
Klemm 1996 : David Klemm, « Das Bildnis Balthasar Neumanns aus dem Jahre 1727 », dans Festschrift für Fritz Jacobs zum 60. Geburtstag [Mélanges en l’honneur de Fritz Jacob à l’occasion de so 60e anniversaire], éd. par Olaf Klodt et Karen Michels, Münster, Lit, 1996, p. 99-117.
Korth 1987 : Thomas Korth, « Der Raum der Schönbornkapelle am Würzburger Dom », dans Balthasar Neumann 1687-1753. Kunstgeschichtliche Beiträge zum Jubiläumsjahr 1987, éd. par Thomas Korth et Joachim Poeschke, Munich, Hirmer, 1987, p. 53-78.
Korth 1999 : Thomas Korth, « Neumann, Balthasar », dans Neue Deutsche Biographie, vol. 19, Berlin, Duncker & Humblot, 1999, p. 140-142. https://www.deutsche-biographie.de/pnd118587269.html#ndbcontent.
Krause 2009 : Katharina Krause, « Résidences épiscopales. Les voyages de Balthasar Neumann en France et de Germain Boffrand en Franconie », dans Art de cour. Le mécénat princier au siècle des Lumières, éd. par Christian Taillard, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 189-204.
Kremeier 2015 : Jarl Kremeier, « Bathasar Neumann (1687-1753) und seine Bibliothek : Einblicke in einen barocken Bücher- und Grafikschatz », dans Bücherwelten – Raumwelten. Zirkulation von Wissen und Macht im Zeitalter des Barock, éd. par Elisabeth Tiller, Cologne, Böhlau, 2015, p. 187-218.
Kummer 1987 : Stefan Kummer, « Balthasar Neumann und die frühe Planungsphase der Würzburger Residenz », dans Balthasar Neumann 1687-1753. Kunstgeschichtliche Beiträge zum Jubiläumsjahr 1987, éd. par Thomas Korth et Joachim Poeschke, Munich, Hirmer, 1987, p. 79-91.
Kummer 2000 : Stefan Kummer, « Die Stadt Würzburg als Gesamtkunstwerk », Mainfränkisches Jahrbuch für Geschichte und Kunst, n° 52, 2000, p. 21-45.
Kummer 2009 : Stefan Kummer, « Balthasar Neumann als Fürstlicher Baumeister », Frankenland, n° 61, 2009, p. 379-390.
Kummer 2013 : Stefan Kummer, « Der Baumeister der Fürstbischöfe : Balthasar Neumann (1687-1753) in Würzburg », dans Kulturstadt Würzburg. Kunst, Literatur und Wissenschaft von der Schönbornzeit bis zur Reichsgründung, 2 vol., Wurtzbourg, Königshausen & Neumann, 2013, coll. « Würzburger Ringvorlesungen », vol. 2, p. 19-56.
Lohmeyer 1911 : Die Briefe Balthasar Neumanns von seiner Pariser Studienreise 1723, éd. par Karl Lohmeyer, Düsseldorf, Schwann, 1911.
Lohmeyer 1921 : Die Briefe Balthasar Neumanns an Friedrich Karl von Schönborn, Fürstbischof von Würzburg und Bamberg, und Dokumente aus den ersten Baujahren der Würzburger Residenz, éd. par Karl Lohmeyer, Sarrebruck et al., Hofer, 1921, coll. « Das rheinisch-fränkische Barock », vol. 1.
Lüsebrink 2016 : Hans-Jürgen Lüsebrink, « Faszinationsfigur Valentin Jamerey-Duval (1695-1775) – zum Verhältnis von plebejischer Lebenserfahrung, transkultureller Migration und autobiographischem Schreiben im Aufklärungszeitalter », dans Literatur leben, Festschrift für Ottmar Ette [Mélanges en l’honneur d’Ottmar Ette], éd. par Albrecht Buschmann, Julian Drews, Tobias Kraft, Anne Kraume, Markus Messling et Gesine Müller, Francfort-sur-le-Main, Vervuert-Iberoamericana, 2016, p. 183-189.
Mader 1915 : Stadt Würzburg, éd. par Felix Mader, Munich, Verlag der Vereinigten Kunstanstalten, 1915, coll. « Die Kunstdenkmale des Königreiches Bayern vom elften bis zum Ende des achtzehnten Jahrhunderts », 3e partie, Unterfranken, vol. 12.
Nemeitz 1718 : [Joachim Christoph Nemeitz], Séjour de Paris, oder getreue Anleitung, welchergestalt Reisende von Condition sich zu verhalten haben, wenn sie ihre Zeit und Geld nützlich und wohl zu Paris anwenden wollen: nebst einer zulänglichen Nachricht von dem königlichen Hoff, Parlament, Universität, Academien, Bibliothequen, Gelehrten, Künstlern, etc., Entworffen von Timentes, Francfort-sur-le-Main, F. W. Förster, 1718 ; éd. suivantes : 1722, 1725 et 1750.
Nemeitz 1727 : [Joachim Christoph Nemeitz], Séjour de Paris c’est à dire, instructions fidéles, pour les Voiageurs de Condition, Comment ils se doivent conduire, s’ils veulent faire un bon usage de leur tems & argent, durant leur Séjour à Paris ; Comme aussi une Description suffisante de la Cour de France, du Parlement, de l’Université, des Academies, & Bibliothéques ; avec une Liste des plus celébres Savans, Artisans, & autes choses remarquables, Qu’on trouve dans cette grande & fameuse ville. Par le Sr J. C. Nemeitz, conseiller de S. A. S. Monsgr le Prince de Waldeck, 2 vol., Leyde, J. Van Abcoude, 1727.
Reinhard 2019 : Volker Reinhardt, Die Macht der Schönheit. Kulturgeschichte Italiens, Munich, C. H. Beck, 2019.
Reuther 1973 : Hans Reuther, « Die künstlerischen Einwirkungen von Johann Lucas von Hildebrandt auf die Architektur Balthasar Neumanns », Architectura, n° 3, 1973, p. 58-86.
Rizzi 1976 : Wilhelm Georg Rizzi, « Die Kuppelkirchenbauten Johann Lucas von Hildebrandts (Abbildung 53-78) », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, n° 29, 1976, p. 121-156.
Schütz 1986 : Bernhard Schütz, Balthasar Neumann, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1986.
Sedlmaier/Pfister 1923 : Richard Sedlmaier et Rudolf Pfister, Die fürstbischöfliche Residenz zu Würzburg, Munich, Georg Müller, 1923.
Satzinger 1992 : Georg Satzinger, « Balthasar Neumanns Kuppelentwürfe für die Abteikirche Münsterschwarzach – Zugleich ein Beitrag zum Thema “Neumann und die Tradition” », Zeitschrift für Kunstgeschichte, n° 55, 1992, p. 413-445.
Satzinger 2016a : Georg Satzinger, « Neumann, Balthasar », dans Allgemeines Künstlerlexikon, Allgemeines Künstlerlexikon – Internationale Künstlerdatenbank – AKL-IKD Online, éd. par Andreas Beyer, Bénédicte Savoy et Wolf Tegethoff, vol. 92, Berlin, New York, De Gruyter, 2016, p. 221-224. https://db.degruyter.com/view/AKL/_00141782.
Satzinger 2016b : Georg Satzinger, « Balthasar Neumann und seine Wohnhäuser in Würzburg », In situ, n° 8, 2016, cahier 2, p. 205-222.
Stephan 2002 : Peter Stephan, “Im Glanz der Majestät des Reiches“. Tiepolo und die Würzburger Residenz. Die Reichsidee der Schönborn und die politische Ikonologie des Barock, 2 vol., Weißenhorn, Konrad, 2002.
Störkel 1997 : Arno Störkel, « Der Mann mit dem Pferd und Neumann auf dem Kanonenrohr : eine Studie zur Identifikation zweier Personen in Tiepolos Würzburger Treppenhaus », Mainfränkisches Jahrbuch für Geschichte und Kunst, n° 49, 1997, p. 141-156.
Süßmann 2007a : Johannes Süßmann, Vergemeinschaftung durch Bauen. Würzburgs Aufbruch unter den Fürstbischöfen aus dem Hause Schönborn, Berlin, Duncker & Humblot, 2007, coll. « Historische Forschungen », vol. 86.
Süßmann 2007b : Johannes Süßmann, « Balthasar Neumann als fürstbischöflicher Baukommissar », dans Die Kunst der Mächtigen und die Macht der Kunst. Untersuchungen zu Mäzenatentum und Kulturpatronage, éd. par Ulrich Oevermann, Johannes Süßmann et Christine Tauber, Berlin, Akademie Verlag, 2007, coll. « Wissenskultur und gesellschaftlicher Wandel », vol. 20, p. 223-240.
Tronquart 1991 : Martin Tronquart, Les châteaux de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France (Région Lorraine), Metz, éditions Serpenoise, 1991.
Ulbert 2004 : Jörg Ulbert, Frankreichs Deutschlandpolitik im zweiten und dritten Jahrzehnt des 18. Jahrhunderts. Zur Reichsperzeption französischer Diplomaten während der Regentschaft Philipps von Orléans (1715-1723), Berlin, Duncker & Humblot, 2004, coll. « Historische Forschungen », vol. 79.
Wackernagel 1982 : Reallexikon zur deutschen Kunstgeschichte, begonnen von Otto Schmitt, hg. vom Zentralinstitut für Kunstgeschichte München, éd. par Karl-August Wirth, vol. 8, Munich, C. H. Beck, 1982, p. 348-421, s. v. « Festwagen » (Rudolf H. Wackernagel). https://www.rdklabor.de/wiki/Festwagen.
Wackernagel 2002 : Rudolf H. Wackernagel, « Balthasar Neumanns Wagenbeschaffung in Paris (1723) und der Bamberger ”englische Reisewagen“ von 1783 », dans Staats- und Galawagen der Wittelsbacher : Kutschen, Schlitten und Sänften aus dem Marstallmuseum Schloß Nymphenburg, éd. par Rudolf Hermann Wackernagel, 2 vol., Stuttgart, Arnold, 2002, vol. 2, p. 280-290.
Collaborateurs et collaboratrices
Texte d’introduction : Hendrik Ziegler, revu par Marion Müller et Florian Dölle ; traduction en français : Jean-Léon Muller.
Transcription de l’édition (Neumann) : Florian Dölle, en s'appuyant sur une première transcription de Martin Pozsgai qui relevait de l’édition imprimé de Max H. von Freeden (1955) ; contrôle par Stefanie Funck.
Annotation de l’édition (Neumann) : Hendrik Ziegler.
Rédaction des index en allemand et en français : Bastien Coulon, Florian Dölle, Angela Göbel, Anna Hartmann, Marion Müller, Alexandra Pioch et Hendrik Ziegler, revue et complétée par Jean-Léon Muller et Marie-Paule Rochelois.
Traduction en français de la transcription annotée : Florence de Peyronnet-Dryden, revue par Alexandra Pioch, Hendrik Ziegler et Jean-Léon Muller.
Encodage de l’édition allemande et française (Neumann) : Florian Dölle, revu par Axelle Janiak et Mathieu Duboc.